Charmant, vif, drôle, malicieux, boute-en-train, désinvolte, joueur, grand amateur de musique et de piano, indépendant, anticonformiste…, c’est ainsi que ses contemporains décrivaient Donald W. Winnicott. Sur le plan professionnel, il brillait par son intuition, son empathie, son humilité et une grande capacité d’écoute. Au niveau théorique, il manquait peut-être de rigueur. Ce n’était pas un grand scientifique, mais un clinicien hors pair. Créatif et profondément humain, il pouvait se laisser aller à des comportements très maternants avec ses patients, n’hésitant pas à leur prendre la main, à pleurer avec eux et à les garder plusieurs heures en entretien. Il avait surtout ce don d’expliquer des choses complexes avec des mots simples.
Pendant des années, ses chroniques sur la BBC étaient très suivies par le grand public. Il donnait aussi de nombreuses conférences. Ses théories, il les bâtissait à partir de sa pratique de pédiatre dans une tradition anglaise très empirique. Il aurait reçu près de 60 000 enfants au cours de sa carrière. Le patricien était aussi un bon vivant, l’antidote aux côtés ténébreux de la psychanalyse. D.W. Winnicott lui a redonné un second souffle, l’a rendue plus accessible, plus concrète, plus humaine. Plus qu’aux pulsions de mort et fantasmes inconscients, il s’intéressait aux parties saines de l’individu.
C’est en insistant sur le rôle décisif de l’environnement dans la construction psychique de l’enfant que Winnicott s’est démarqué de ses confrères et fait une place de choix, notamment chez les professionnels de la petite enfance, les éducateurs, les soignants en pédiatrie ou en pédopsychiatrie.
L’homme du centre
Dans les années 1920, la psychologie de l’enfant en était à ses balbutiements. Chez les psychanalystes, deux femmes s’y intéressaient de près : Anna Freud, la fille de Sigmund, et Melanie Klein, toutes deux autrichiennes de confession juive qui se sont retrouvées à Londres pour échapper à la barbarie nazie. D.W. Winnicott était surtout proche de M. Klein. C’est elle qui a supervisé son travail de psychanalyste pendant cinq ans, une forme de tutorat plus ou moins obligatoire pour tout analyste. Mais petit à petit, il a pris ses distances, car M. Klein et, plus encore, A. Freud mettaient l’accent sur la vie fantasmatique de l’enfant et travaillaient peu avec les parents. Or, pour D.W. Winnicott, c’était la réalité du monde de l’enfant qui comptait. Inclure les parents dans la thérapie était primordial. En se démarquant de ses deux consœurs, il a constitué un troisième groupe, dit « middle group » ou groupe des indépendants.
Proche de deux éminents psychanalystes hongrois de son époque, Sándor Ferenczi, connu pour son approche maternante et empathique des patients, et Michael Balint, qui prônait la régression à visée thérapeutique, D.W. Winnicott était partisan d’une approche plus impliquée, sortant du dogme de la neutralité absolue de l’analyste se contentant de quelques « hum » et courtes formules de relance. Pour dépasser leurs blocages, il invitait parfois ses patients adultes à se laisser aller à des régressions dans des états très archaïques. Il cherchait ainsi à recueillir une parole infantile qui n’avait pu s’exprimer. Il avait toujours à disposition des plaids, des coussins et une carafe d’eau pour accompagner cette régression. Cette approche fut l’objet de nombreuses critiques, notamment chez les lacaniens pour qui ces attitudes étaient inconcevables. Pour eux, l’analyste devait se contenter de rester à distance et uniquement dans le verbal.
D.W. Winnicott n’hésitait pas à rejoindre les enfants sur le tapis et à jouer avec eux. « Si je disais qu’il comprenait les enfants, cela me semblerait sonner faux…, c’était plutôt les enfants qui le comprenaient 1 », témoigne un de ses collègues de l’époque. « Il avait une présence sans égale. Quand il écoutait, c’était avec tout son corps », ajoute Laura Dethiville, psychanalyste, présidente de la section française de l’International Winnicott Association et auteure de Donald W. Winnicott. Une nouvelle approche (2008). C’était aussi un grand créatif qui aimait inventer ses propres jeux à l’image du squiggle, un exercice de dessin interactif utilisé pour faciliter la communication avec les enfants ayant des difficultés à s’exprimer. Le psychanalyste griffonne quelques traits sur un bout de papier et invite l’enfant à les transformer ou à y ajouter quelque chose tout en commentant sa production. À tour de rôle, le thérapeute crée ainsi une histoire avec l’enfant et l’amène à parler de lui sans le brusquer.