Peut-on parler de révolution ?
Comme l'écrit Jean-Pierre Orfeuil, l'un des spécialistes en France des mobilités, « la mobilité est une idée neuve » 1 : jusqu'au xviiie siècle, seule une minorité de personnes se déplaçait : les soldats, les marchands, sans oublier... les aventuriers et les brigands. La masse de la population était peu mobile et le vagabondage proscrit. On naissait, vivait et mourait dans le même village.
C'est à partir des xviiie et xixe siècles que la possibilité de se déplacer se démocratise sous l'effet de plusieurs révolutions, à commencer par celle des transports, avec l'apparition du train et du bateau à vapeur puis, plus tard, de l'automobile, de l'avion, sans oublier la moto et le vélo... D'autres transformations ont été décisives : la formation d'Etats-nations, qui suscite la construction des premières routes nationales ; la révolution industrielle, qui favorise la constitution d'un marché du travail national ; enfin, une transformation des mentalités, avec la montée de l'individualisme et l'émancipation progressive des individus de leurs communautés d'appartenance. Par la suite, la périurbanisation (l'installation de citadins loin des centres villes) apparue à partir des années 60 n'a cessé d'intensifier les mobilités en dissociant le lieu de vie du lieu de travail.
Ainsi peut-on parler de révolution des mobilités, même si elle ne profite pas à tous. Dans les pays en développement, on se déplace encore principalement à pied, en vélo, en moto ou en transports en commun. La distance moyenne parcourue y est, d'après certains calculs, à peu près 7 fois moindre que dans les pays industrialisés (soit un écart comparable à l'écart de richesse). De fortes différences existent aussi entre les pays industrialisés : un Américain se déplace en moyenne deux fois plus qu'un Européen ; il consomme l'équivalent de 1900 kg de pétrole pour ses déplacements, contre moins de 700 pour un Européen (chiffres OCDE, 1990).
Au sein des pays industrialisés, certains sont plus mobiles que d'autres : c'est le cas des cadres par rapport aux exploitants agricoles. Tous n'ont pas accès aux réseaux de transports. Si l'usage de la voiture s'est répandu, il représente un coût plus ou moins élevé selon les catégories socio-professionnelles. Bref, aujourd'hui plus que jamais, les mobilités quotidiennes peuvent être « le véhicule d'inégalités sociales » 2.