Pourquoi un livre sur l'antisémitisme aujourd'hui ?
Dans le climat français de 2002, il m'est apparu nécessaire de mener une telle recherche : beaucoup d'inquiétude chez les Juifs de France, pression internationale venant des Etats-Unis et d'Israël pour dire que la France était emportée par un « tsunami » antisémite. Mais aussi en France, y compris au sein du monde juif, la volonté de ne pas dramatiser et, dès lors, peut-être le risque de sous-estimer le problème. Une question incroyable se posait : après les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, l'antisémitisme pouvait-il renaître en France ? J'ai proposé aux chercheurs de mon laboratoire intéressés de se joindre à moi, et nous avons élaboré un ensemble d'hypothèses qui ont mené à un certain nombre de terrains : l'école primaire, les universités, les prisons, Sarcelles, Roubaix, Marseille, l'Alsace...
La violence antisémite est selon vous un phénomène incontestablement en hausse. Pour autant, les chiffres de ces violences, les sondages d'opinion, les analyses des médias suffisent- ils à rendre compte clairement du phénomène ?
Il en est de l'antisémitisme comme du racisme : les formes et les expressions sont multiples. Par conséquent, si l'on isole une d'entre elles, on a une image très partielle du phénomène. Celui-ci est fait de violences, mais aussi d'opinions, de préjugés, de stéréotypes. On y trouve aussi des idéologies plus construites, ce qui est différent. Par ailleurs, chacune de ces dimensions, quand elle est étudiée, appelle une critique méthodologique : souvent, les statistiques nous informent mieux sur ceux qui les produisent, sur la pression sociale exercée sur eux, que sur le phénomène qu'elles sont supposées étudier. Quant aux sondages d'opinion, ils portent généralement sur la partie de la population âgée d'au moins 18 ans : or, l'antisémitisme d'aujourd'hui est un problème qui se joue aussi dans la cour de récréation des collèges. Donc, sans rejeter ces modes d'approche, il faut admettre qu'ils n'apportent qu'un éclairage partiel et qui mérite discussion.