À l’image de l’époque qu’elle prétend qualifier, la postmodernité est une notion confuse recouvrant diverses réalités. C’est pourquoi il convient d’emblée de distinguer le postmodernisme de la postmodernité. Le postmodernisme correspond, en effet, à un ensemble de mouvements philosophiques et culturels marquant une rupture avec le modernisme esthétique et intellectuel des Lumières. En revanche, la postmodernité désigne les bouleversements structurels des modes de vie et d’organisation sociale propres au XXe siècle. Ainsi, alors que le postmodernisme appelle à délimiter activement une rupture vis-à-vis de la modernité visant à s’émanciper des grandes idéologies, la postmodernité se propose comme une théorie sociale délivrant un diagnostic historique. Celui de la disparition des grands récits de la modernité qui donnaient un sens homogène à l’histoire.
Vérité, juste, beau : des discours différents
Théorisée et popularisée par le philosophe Jean-François Lyotard, la postmodernité est le résultat de l’écroulement des régimes communistes qui prétendaient émanciper l’homme en lui promettant un avenir meilleur. En effet, face aux guerres et aux totalitarismes du XXe siècle, Lyotard publie en 1979 La Condition postmoderne, où il développe sa théorie critique des idéaux progressistes et rationalistes. Selon lui, il ne faut plus rien attendre des pensées totalisantes qui ont jalonné le siècle, tels que le marxisme, la psychanalyse, le structuralisme et la phénoménologie. Sonnant le glas des « métarécits » de la modernité, Lyotard voit dans l’émergence de la postmodernité une véritable crise du discours. Les discours scientifiques et politiques n’ont, en vérité, pas la même finalité. Au contraire, la science, la politique et l’art ont des objectifs différents allant jusqu’à se contredire parfois. La vérité scientifique ne suit pas automatiquement le juste visé par la politique ou le beau artistique. Le progrès alors prôné par les Lumières n’a dès lors plus aucune réalité, puisqu’il ne prend pas acte du caractère fragmenté de la société qui porte en elle des codes sociaux et moraux fondamentalement incompatibles. C’est l’une des principales particularités de l’ère postmoderne. Aucun savoir ne peut plus être solidement ancré dans un fondement indiscutable ; dit plus radicalement, cet effort de fondation ne semble même plus avoir de sens tant on ne dispose plus de critères pour en juger la validité.
Pour Lyotard, ce renoncement en une fondation inébranlable n’est autre que le renoncement de la foi aveugle dans le progrès scientifique et technologique. Remuée par deux guerres mondiales, par la Shoah et par le développement de la menace nucléaire, la raison, dernière idole de la pensée moderne, n’est plus confondue avec la notion de progrès. La vision postmoderne refuse l’idée selon laquelle la raison unifierait le savoir humain dans un même sens et souligne la coexistence de savoirs hétérogènes, éclatés. Dès lors, la réalité sociale témoigne d’un nouvel ordre sociopolitique qui conteste l’hégémonie du modèle des luttes de classes, porteur d’un projet universel. Le monde fragmenté et individualisé du discours postmoderne rend caduque une explication de la totalité sociale qui puiserait dans une théorie des classes comme sujets intéressés collectivement. Il s’agit ici de l’effondrement du matérialisme historique, c’est-à-dire du marxisme lui-même. En effet, ce dernier prétendait établir scientifiquement une conception où le prolétariat, classe et sujet de l’histoire, était dans sa lutte contre la bourgeoisie investi du projet universel d’émancipation.