Les philosophes de la reconnaissance

Les philosophes de l'Antiquité, Aristote, Platon, et après eux les grands moralistes de l'époque classique, comme Montaigne ou La Rochefoucauld, n'ignorent pas le caractère social de l'être humain. Mais ils le considèrent généralement comme une faiblesse. La recherche d'approbation des autres humains est une coupable vanité ; le sage doit atteindre l'autosuffisance. Il faut attendre le milieu du xviiie siècle, avec le reflux des privilèges et l'émergence de la notion de dignité de l'individu, pour que des philosophes affirment le besoin inné de reconnaissance de l'humain.

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) : l'idée de la considération

Aristote le disait déjà : « L'homme qui est dans l'incapacité d'être membre d'une communauté, ou qui n'en éprouve nullement le besoin parce qu'il se suffit à lui-même, ne fait en rien partie de la cité, et par conséquent est une brute ou un dieu. » Le caractère social de l'être humain était donc bien admis depuis longtemps par les philosophes. Mais la révolution qu'opère Jean-Jacques Rousseau est de considérer que l'homme a véritablement besoin des autres pour exister. Les autres ne sont pas seulement un milieu naturel pour l'individu, mais lui sont nécessaires pour accéder à la condition humaine. « Le sauvage vit en lui-même, l'homme sociable, toujours hors de lui, ne sait vivre que dans l'opinion des autres, et c'est, pour ainsi dire, de leur seul jugement qu'il tire le sentiment de sa propre existence. » 

Rousseau distingue trois sentiments : l'amour de soi est une notion positive, et correspond au simple instinct de conservation de tout être ; l'amour propre est par contre un sentiment négatif, proche de la vanité, qui nous pousse à nous comparer aux autres, et à nous vouloir supérieurs à eux. Mais le mérite de Rousseau est de ne pas réduire le besoin de relations sociales à ces sentiments de rivalité. Il décrit ce qu'il appelle « l'idée de la considération », qui passe par le regard : « Chacun commença à regarder les autres et à vouloir être regardé soi-même. » Autrui est donc nécessaire à ma propre complétude.