Disposer d'un carnet d'adresses, pouvoir compter sur un ami auquel on a rendu un service, connaître le fils du directeur d'une grande entreprise, pouvoir disposer par son association d'une salle pour répéter une pièce de théâtre... autant de ressources qui, aux yeux de certains économistes et sociologues, constituent un « capital ». Parce qu'il s'inscrit dans un réseau de relations, ce capital est qualifié de social (voir l'encadré page 36). Sa mobilisation et ce qu'il procure pour un individu qui souhaite atteindre un objectif ne dépendent pas que de cet individu. Il ne suffit pas qu'il y ait relation pour qu'il y ait création de capital, encore faut-il que cette relation soit mobilisable. Pour qu'un acteur parvienne à son objectif en sollicitant l'aide d'un ou de plusieurs des membres de son réseau, il faut bien sûr que ces derniers détiennent la ressource nécessaire, mais il faut surtout qu'ils soient prêts à lui accorder leur aide.
Les ressources détenues par chacun peuvent tout autant servir à la réalisation de fins individuelles que collectives. Le capital social peut permettre la production d'un bien individuel, comme lorsqu'un individu aide un de ses amis à trouver un emploi. Ce capital peut aussi permettre la production d'un bien collectif, qui bénéficie à tous les membres d'un groupe ayant un intérêt commun, qu'ils aient ou non personnellement participé à la production de ce bien, comme lorsque le réseau des membres d'une association permet à celle-ci d'obtenir un local pour développer ses activités.
Ces observations amènent à distinguer deux types d'analyses. Le premier se centre sur le niveau individuel ; on s'interroge sur les ressources auxquelles un individu accède et qu'il peut mobiliser grâce à son réseau. Le second type d'analyse se situe à un niveau collectif. Dans cette perspective, le capital social correspond aux ressources (confiance, réciprocité, réseau) qu'une communauté est susceptible de procurer à ses membres. Ces ressources sont considérées comme facilitant l'action collective, voire la performance économique 1. Les communautés en question peuvent tout aussi bien être des groupes relativement restreints (famille, associations, etc.) qu'une société tout entière. On s'attache dans ce dernier cas à comprendre comment le capital social facilite la production de biens collectifs tels que la démocratie ou l'industrialisation.
Le rôle propre du capital social
Il existe évidemment des liens entre ces différents niveaux. Par exemple, le capital social d'un individu lui bénéficie personnellement, mais il peut également bénéficier aux autres membres de la communauté dont il fait partie. Par ailleurs, les associations sont des communautés souvent porteuses de confiance et de réciprocité entre leurs membres. Aussi, certains sociologues considèrent-ils leur nombre comme un indicateur de capital social dans une société. C'est le cas par exemple de l'Américain Robert Putman 2. Pour sa part, Tocqueville, même s'il n'a pas employé l'expression de « capital social », établissait déjà un lien entre la démocratie aux Etats-Unis et le nombre élevé d'associations qu'on y trouve.
Mais le capital social représente-t-il bien une forme spécifique de ressources, distincte des autres et jouant un rôle propre ? Différents sociologues en doutent. C'est le cas par exemple de Pierre Bourdieu, pour qui le capital social est étroitement dépendant des capitaux économiques et culturels, eux-mêmes très fortement liés à l'origine sociale. Le capital social est d'autant plus important que l'on s'élève dans la hiérarchie sociale, si bien qu'il est plutôt l'apanage de ceux qui se situent en haut de cette hiérarchie et leur permet de renforcer leur position dominante 3.