Vous est-il déjà arrivé, après un épisode Desperate Housewives ou de Mad Men, d’être si mobilisé par l’histoire que, soudain, sans trop savoir pourquoi, vous avez décidé de mieux vous occuper de vos enfants ou de ne plus jamais tromper votre conjoint ? Avez-vous, parfois, en regardant les personnages de Lost, perdus sur leur île déserte, éprouvé avec une intensité nouvelle à quel point vous vous sentiez perdu dans les abîmes de votre identité ? Regarder les patients d’In Treatment douter en permanence chez leur psy de la façon dont ils doivent conduire leur vie vous a-t-il aidé à prendre une décision qui allait changer durablement le cours de votre existence ? Si vous avez répondu « oui » à au moins une de ces questions, vous êtes la preuve que les séries télévisées ne sont pas un pur objet de consommation mais des œuvres qui regardent en nous quand nous les regardons. Au même titre qu’un grand roman ou qu’un chef-d’œuvre de la peinture flamande ? Auteur d’un très remarquable Six Feet Under, nos vies sans destin, le philosophe et écrivain Tristan Garcia n’est pas loin de le penser. Il compare sans hésiter les apports de Six Feet Under aux grands romans de Proust ou de Dostoïevski : « On se centre sur une classe moyenne, plutôt profil bas, qui essaie de mener une vie ordinaire, et c’est ça que je trouve très beau : tout le propos est de montrer comment un groupe de personnages essaie de devenir des individus. » Selon lui, « la grande réussite, c’est d’avoir fait de l’ordinaire quelque chose qui n’est pas du tout ennuyeux. Et parallèlement, de ne pas en avoir fait une leçon de morale ou un manifeste de coaching personnel. »