Quand sont-ils apparus ?
Chaque année, en France, près de 900 enquêtes d’opinion sont publiées dans la presse, soit plus de deux enquêtes par jour. Ainsi, pour le seul mois de septembre 2006, 70 sondages ont été publiés. Symbole de cette suprématie, la présidente du Medef, Laurence Parisot, est par ailleurs la présidente de l’Ifop, l’un des instituts de sondages qui se partagent le marché français. Commandés principalement par les médias, mais également par des associations, des ONG, des entreprises, les sondages rythment désormais l’agenda politique comme s’ils avaient toujours existé. En fait, l’année 2006 a marqué le 70e anniversaire de la naissance officielle de l’instrument. Les débuts de l’aventure sondagière datent en effet de la réélection en 1936 de Franklin D. Roosevelt prédite, contre toute attente, par un dénommé George H. Gallup, docteur en psychologie sociale. Ce véritable entrepreneur mit en scène médiatiquement le combat qui l’opposait à la rédaction du puissant Literary Digest qui avait organisé une vaste simulation de votes donnant vainqueur le gouverneur républicain Alfred Landon. Comme le note le politiste Loïc Blondiaux, il s’agit pour G.H. Gallup, sur le terrain électoral, à partir de la consultation la plus prestigieuse qui soit, de « se rendre indiscutable aux yeux du plus grand nombre (1) ». Et comme un sondage préélectoral peut être comparé aux résultats réels, la réélection de F.D. Roosevelt signe à la fois la victoire de l’instrument, la renommée de son « inventeur » (longtemps en Europe les journalistes baptiseront « gallups » les sondages d’opinion publiés), et l’avènement de l’opinion publique sondagière, enfin circonscrite et définie par ce nouvel instrument de mesure. Aux Etats-Unis, tenants de la psychologie sociale et sociologues apporteront à l’outil leur caution scientifique. La firme Gallup bénéficie dès 1938 d’un contrat exclusif avec plus d’une centaine d’organes de presse (dont le New York Times et le Washington Post). Les sondages sont publiés avec une courte analyse sous le titre « America speaks ». Si les élections de 1936 sourirent à G.H. Gallup, en revanche, celles de 1948 marquèrent un premier échec retentissant : l’expert annonça à tort la défaite du président Harry Truman. Loin d’être ébranlé, il déclara : « Une armée de critiques ne saurait m’arrêter. » En France, il faudra attendre 1965 pour que la technique soit utilisée dans le cadre d’une campagne électorale, promue alors par des politologues proches de l’IEP-Paris, lesquels deviendront les premiers conseillers des instituts naissants.
Tous les sondages se valent-ils ?
Il y a différents types de sondages et il importe de les distinguer soigneusement. L’interprétation d’un sondage dépend, d’une part, de l’échantillon retenu et du moment où il est fait, et, d’autre part, du type de question qui est posé car toutes les questions ne relèvent pas du même registre. Il existe, d’un côté, les questions d’opinion proprement dites – « selon vous », « personnellement », « à votre avis » – qui sont censées saisir « ce que les gens pensent » de tel ou tel problème intéressant les commanditaires du sondage. D’un autre côté, on trouve les questions visant à saisir des comportements ou des intentions de comportement économique (achat ou intention d’achat), culturel (visite de musée, fréquentation du cinéma, lecture de livres ou de journaux…), ou politique (engagement militant ou associatif, comportement électoral). Enfin, un sondage préélectoral visant à saisir des intentions de vote quelques jours avant une élection n’a rien à voir avec un sondage de même type réalisé plusieurs mois avant, bien que la question posée soit identique. Dans le premier cas, le sondage a lieu à un moment où la campagne électorale est quasiment terminée et les choix des citoyens formés. Il n’en va pas de même des sondages sur les intentions de vote qui sont réalisés à plusieurs semaines, voire plusieurs mois, d’une élection. Ils bénéficient à tort de la croyance en la fiabilité qui est reconnue aux sondages préélectoraux qui précèdent de quelques jours le scrutin. De sorte que, malgré toutes les mises en garde, ils sont commentés comme une anticipation probable du score électoral.