Comment concilier la justice et la liberté ? Will Kymlicka, professeur au Canada, auteur d'un livre remarqué sur le multiculturalisme 1, a fait de cette question le fil conducteur de cet ouvrage. C'est aussi l'un des problèmes les plus souvent débattus par les philosophes anglo-saxons qui, autour de John Rawls, de Ronald Dworkin, de Charles Taylor et d'autres encore, animent une discussion permanente sur la démocratie moderne et son devenir. W. Kymlicka appartient au cercle des intellectuels les plus au courant de la philosophie politique d'outre-Atlantique et fait avant tout, dans ce texte rédigé en 1992, un travail de présentation, d'éclaircissement et de critique des principaux courants impliqués dans cette discussion. Pour cette raison, et en dépit d'une certaine difficulté de lecture, son introduction aux théories de la justice est précieuse pour le lecteur français. Il est difficile actuellement de trouver un ouvrage qui présente les discussions sur la justice sociale autrement que sous la forme d'alternatives entre la « gauche » et la « droite », le « communautaire » et « l'individuel », le social et l'économique, etc.
Pour W. Kymlicka, ces alternatives ont vécu et n'offrent aucune solution. En effet, elles s'opposent les unes aux autres, mais ne correspondent à aucune réflexion philosophique fondamentale. En philosophie morale américaine, la forme de pensée la plus courante est l'utilitarisme, selon lequel la justice se mesure à l'utilité d'une action ou d'une règle, et non à son intention.
W. Kymlicka relève qu'en vingt ans, l'utilitarisme a produit des conceptions si contrastées de la justice sociale qu'elles couvrent à peu près tout le spectre des positions politiques connues, de la gauche à la droite. En effet, si l'on mesure l'utilité collectivement, on se soucie peu de la détresse des pauvres, et on se félicitera de toutes les mesures qui favorisent les affaires. A l'inverse, si l'on est attaché au respect des droits de la personne humaine, on jugera utiles les mesures de redistribution qui empêchent les pauvres de souffrir trop cruellement.