Les théories sociologiques du marché

 

Mark Granovetter : Le marché comme réseau

Comment trouve-t-on un emploi ? En 1973, Mark Granovetter publie un article intitulé « La force des liens faibles ». Il y présente les résultats d’une enquête auprès de 300 cadres, techniciens et gestionnaires de la région de Boston (États-Unis) ayant récemment changé d’emploi. Il constate tout d’abord que la majorité d’entre eux (56 %) ont trouvé leur nouvel emploi non en répondant à une annonce, mais via leurs relations personnelles. Cependant, M. Granovetter s’aperçoit que les emplois les plus satisfaisants et les mieux rémunérés ont été obtenus grâce non pas aux personnes les plus proches de l’entourage (familles, amis), mais à des collègues ou anciens collègues de travail. Autrement dit, ce sont des personnes que l’individu ne voit généralement que peu ou occasionnellement qui ont fourni les meilleurs « tuyaux ». L’explication est simple mais décisive : les « liens forts » ne nous transmettent qu’une information redondante, que nous avons toutes les chances de déjà connaître puisque nous partageons les mêmes réseaux (les bons amis de mes amis sont aussi souvent mes amis). En revanche, les « liens faibles » nous connectent avec des réseaux qui le plus souvent nous restent totalement étrangers, et qui sont donc susceptibles de nous donner des informations inaccessibles autrement.

• « The strength of weak ties »
Mark Granovetter, American Journal of Sociology, vol. LXXVIII, n° 6, 1973.

 

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Michel Callon et Fabian Muniesa : Le marché comme machine à calculer

Michel Callon et Fabian Muniesa récusent l’hypothèse, qu’ils attribuent aux économistes, selon laquelle les agents, sur un marché, seraient « calculateurs par nature ». Mais ils refusent également l’approche des sociologues et des anthropologues qui réduiraient le calcul à une « rationalisation ex post de choix » qui obéiraient à d’autres logiques (routines, déterminations sociales…). Selon eux, les agents sont bien calculateurs. Seulement, d’une part, ce qu’il faut entendre par calcul ne se réduit pas à la simple arithmétique ou au quantitatif : « Le calcul commence en établissant des distinctions entre des choses ou des états du monde, puis en imaginant des cours d’action associés à ces choses ou à ces états, pour enfin évaluer des conséquences. » D’autre part, les capacités de calcul de l’individu ne reposent pas sur son seul cerveau : elles sont « distribuées » entre humains et non-humains. Emballage, rayonnage, relations de proximité entre les produits, marques, labels, étiquettes, promotions : tout un ensemble de choses et de réseaux aide le consommateur dans sa réflexion et oriente ses choix. Mais on pourrait aussi citer les magazines, les guides, les listes de courses (« véritable prothèse cognitive »), les essais comparatifs… Tout un courant de recherche (M. Callon, F. Muniesa, Franck Cochoy, Sophie Dubuisson-Quellier…) développe ainsi une sociologie des « marchés équipés », qui met en évidence la manière dont la rencontre entre l’offre et la demande s’appuie sur des objets, des outils, des dispositifs qui participent à la connaissance et à l’action.