Les valeurs de la jeunesse

On pense souvent que les valeurs de la jeunesse s'opposent à celles des adultes. Le sociologue Olivier Galland offre un tableau plus nuancé. Certaines valeurs sont effectivement liées à l'âge ou à la génération. D'autres, en revanche, s'inscrivent dans une évolution plus générale des moeurs.

La jeunesse est une catégorie aux contours incertains. Individualistes, libéraux en matière de moeurs, permissifs par rapport aux règles sociales, les jeunes d'aujourd'hui affirment aussi leur attachement à des valeurs traditionnelles comme la famille et le travail. Parfois plus radicaux que les adultes dans leurs jugements, ils sont aussi les premiers à plaider pour la solidarité et les causes généreuses. Ces attitudes peuvent sembler contradictoires. Elles nuancent en tout cas l'idée largement répandue selon laquelle les comportements de la jeunesse différeraient fondamentalement de ceux des autres âges. Les comportements des jeunes ont certes leur spécificité. Spécificité parfois surestimée par l'opinion publique.

Par ailleurs, on interprète trop souvent, sans plus de vérifications, le particularisme juvénile comme un « effet de génération », autrement dit, comme un effet propre à un groupe d'individus nés à une date donnée. Or, dans bien des cas, il s'agit d'un simple « effet d'âge », l'avancée en âge changeant les manières d'agir. En effet, l'originalité juvénile s'efface progressivement et à mesure que les individus avancent dans la vie, les jeunes d'hier rejoignent dans leurs opinions les adultes d'avant-hier. Distinguer les effets d'âge de ceux liés à une génération ou à une époque est donc une précaution essentielle qui impose certaines contraintes méthodologiques (voir encadré p. 28).

L'enquête « European values survey », réalisée dans la plupart des pays européens en 1981 et en 1990 sur des échantillons et des questions comparables, permet de distinguer effets d'âge, effets de génération et effets de période. Nous utiliserons également, dans certains domaines, des enquêtes plus récentes conduites sous la direction du Centre d'études de la vie politique française (Cévipof), à l'occasion des élections présidentielles de 1988 et de 1995.

Nous étudierons dans quels domaines les jeunes Français se singularisent et dans quelle mesure leur particularisme, lorsqu'il se manifeste, relève d'un simple effet de l'âge ou d'un effet de génération.

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Famille, travail : des valeurs indétrônables

Après la famille, le travail est pour les Français ce qu'il y a de plus important dans la vie, avant les amis, les loisirs, la religion et la politique. Ce sentiment est répandu de façon homogène dans la population. Il serait inexact de penser que les jeunes attribuent moins de valeur au travail que leurs aînés : dans toutes les classes d'âge, environ six personnes sur dix affirment que le travail est très important et trois sur dix qu'il est assez important 1.

Une différence demeure cependant entre générations. En effet, les jeunes valorisent surtout les aspects non directement professionnels du travail, notamment l'aspect relationnel et le fait qu'il respecte la vie personnelle. Leur conception de la famille est très différente de celle de leurs parents. Ils repoussent le moment de se marier quand ils ne refusent pas tout simplement de passer devant Monsieur le Maire ; ils font moins d'enfants, se séparent ou divorcent plus fréquemment.