Les vertus de la solitude Entretien avec Alain Delourme

Plutôt que subir la solitude, on peut la cultiver pour prendre soin de soi et favoriser l’éclosion d’une vocation artistique ou d’une exploration spirituelle.

Vous avez écrit un ouvrage sur la solitude « initiatique ». Qu’est-ce qui la distingue de la solitude ordinaire ?

Il existe deux formes majeures de solitude : d’abord la solitude au sens d’un isolement subi, souffrant. On a tous plus ou moins connu cela. Personnellement, elle a été une part importante de mon parcours existentiel. Ensuite, je me suis demandé ce qui peut nous aider à faire mûrir cette solitude, lui conférer une part d’initiation. « Initiatique » vient de initiare, ouvrir la porte vers le secret. Je dirais même : vers le sacré… Ce qui nécessite de transformer notre regard mais aussi notre vie concrète pour donner à cette solitude-là les qualités suivantes : elle doit être réfléchie, libre, choisie, et, en ce qui me concerne, chérie. Je suis un homme de silence qui aime beaucoup pratiquer la solitude, la lecture et l’étude. Loin de se résumer à ce qu’on imagine parfois (des affres et un sentiment d’être abandonné et pas aimé, pas aimable), la solitude que je soutiens est reliée. Reliée à différents aspects de soi, à l’humanité, à la nature bien sûr, au cosmos, au sacré. Peut-être la solitude au fond n’est-elle qu’une apparence : fondamentalement, on est relié.

Une telle solitude ne peut-elle avoir qu’un but : la transcendance ?

Je ne pense pas. L’humanité est hypercomplexe : face à la diversité des situations, des vies, des goûts, des aspirations, la façon d’habiter la solitude est diverse. On peut y pratiquer la méditation ou plusieurs formes de spiritualité, l’étude, la recherche, le sport, la musique, la peinture, etc. Il existe de nombreuses manières de rendre féconde cette solitude.

Une solitude initiatique ne tend donc pas forcément vers le sacré…

Dans mon cas personnel, oui, dans de nombreuses autres situations existentielles, non. On peut se déployer par exemple dans une activité artistique et y trouver un mode d’épanouissement sans aspiration spirituelle ni religieuse que d’aucuns recherchent. Étant psychothérapeute depuis trente ans, je constate néanmoins que la souffrance des personnes en difficultés de vie liées à la solitude et au manque d’amour s’accompagne très souvent d’une quête spirituelle.

Pourquoi tant de gens redoutent-ils la solitude ? S’agit-il d’une peur de se retrouver avec soi-même ?

Oui. Il s’avère que l’être humain n’est pas forcément son meilleur ami : il y a en nous des états, des pulsions, des sentiments, des émotions qui font qu’on se méfie de soi-même. On sait que quand on plonge en soi, on rencontre des choses qui peuvent être merveilleuses mais aussi pas jolies. Pas seulement la lumière, mais les ténèbres. Je trouve que beaucoup de comportements sociaux hyperactifs (être toujours avec des amis, en bande, en sortie, au téléphone, sur Internet) ne sont pas spécialement intéressants mais évitent d’être confrontés à nous-mêmes dans une solitude qui fait peur. Parce qu’on s’aperçoit alors qu’on ne s’occupe pas bien de soi, de son corps, et qu’on ne prend pas le temps de penser les grands thèmes existentiels comme la solitude, la liberté, la responsabilité, la mort. C’est une sorte de paresse intellectuelle. Je propose au contraire de prendre le temps de penser la solitude et la mort, et de considérer que ce sont de très beaux sujets de réflexion.