Le trentième anniversaire de mai 68 a donné à l'événement une nouvelle épaisseur. Il est livré à l'analyse critique des historiens, des sociologues et des philosophes dont les médias ont donné un large écho. Aurait-on atteint aujourd'hui la distance suffisante pour pouvoir parler d'« héritage » ? Le livre du philosophe et sociologue J.-P. Le Goff est, à ce propos, convaincant.
A partir d'une documentation abondante et variée (journaux et feuillets gauchistes de toutes obédiences, ouvrages de penseurs « qui ont compté », etc.), l'auteur se livre à une reconstitution vivante et bien structurée des événements et des courants de pensée et d'action de la période. Trotskistes orthodoxes, Ligue communiste, Maoïstes et « mao-spontex » de la Gauche prolétarienne..., J.-P. Le Goff montre qu'il a existé, à côté de ces mouvements politiques, un « gauchisme culturel » dont la portée historique a été certainement plus importante. La « nébuleuse gauchiste » militante, néo-léniniste, s'est progressivement dissoute au cours des années 70. Mais le courant « libertaire-culturel » lui a survécu, s'insinuant dans le mouvement de libération des femmes, celui de l'antipsychiatrie, de l'école anti-autoritaire, de l'écologie...
On perçoit une certaine délectation - que l'auteur parvient à nous faire partager - dans le récit de certains épisodes de la période : la grève chez Lip, l'occupation du Larzac..., ces actions ayant gardé la dimension chaleureuse et festive du mouvement de mai. Sa conclusion n'est pas optimiste pour autant : au-delà de « la grande désillusion » des années 80 et de la « litanie du malheur généralisé » dont les nouveaux philosophes se font les prédicateurs, mai 68 nous aurait transmis « un héritage impossible » : le nouveau modèle d'individu que le mouvement a façonné, autonome, « sans dette ni devoir », rendrait aujourd'hui impossible la nécessaire restauration du lien social.
Le livre ne vaut pas uniquement pour cette thèse que tous ne partageront pas ; il présente une analyse fine des différents courants de la période, recontextualisés dans la conjoncture mouvante des événements mondiaux (discrédit croissant des régimes communistes), leur éphémère hégémonie et leur extinction tout aussi rapide. Il apporte un éclairage essentiel sur mai 68 qui a bien été un des principaux événements historiques de cette fin de xxe siècle.