Un Français du nom de Claude Vorilhon, journaliste sportif de son état, prétend avoir rencontré le 13 décembre 1973, en se promenant sur un volcan auvergnat, un extraterrestre qui l'aurait convié à une excursion en soucoupe volante 1. Et son interlocuteur de lui confier le secret de l'humanité : notre espèce aurait été créée en laboratoire et exportée sur Terre voici 25 000 ans. A en croire C. Vorilhon, plus connu sous son pseudonyme Raël, la Bible ne ferait que récapituler ce récit de nos origines de façon allégorique. Le visionnaire quitta le véhicule interstellaire chargé d'une double mission : diffuser les messages des elohim (terme biblique pluriel signifiant Dieu, littéralement, selon lui, « ceux qui sont venus du ciel ») et réunir des fonds pour bâtir, si possible à proximité de Jérusalem, une ambassade destinée à les accueillir d'ici à 2035.
On sait le chemin parcouru depuis par le « prophète des extraterrestres ». Celui qui se dit « demi-frère de Jésus » - car issu de même de l'union « d'une mère terrienne et d'un extraterrestre » - revendique aujourd'hui 55 000 fidèles dans son « Eglise » (en France, on parle plutôt de secte) fondée au Québec en 1994. Raël a défrayé la chronique en décembre 2002, en prétendant avoir fait réaliser par son équipe le premier clonage humain de l'histoire. Son credo repose sur l'expression d'une totale liberté en matière de pensée et de sexe, doublée d'une foi inconditionnelle en la science.
On pourrait ne voir dans les récits de ce gourou que la simple expression d'une mégalomanie délirante. Ce serait une erreur. Comme le souligne l'ethnologue Wiktor Stoczkowski 2, Raël est l'héritier d'une tradition qui connut son heure de gloire dans les années 1960-1970. Il est un des derniers représentants médiatiquement actifs de la théorie dite des « anciens astronautes ». Ce terme englobe un ensemble de doctrines, issues de plusieurs dizaines d'ouvrages publiés depuis le début des années 60, qui ont pour point commun de postuler que des extraterrestres ont créé artificiellement l'humanité.
Des anges aux extraterrestres
Selon W. Stoczkowski, l'idée de puissances, à la fois non divines et non humaines, créatrices de l'humanité, remonte aux premiers temps du christianisme. Le gnosticisme regroupait ainsi un ensemble de courants religieux spéculatifs. Il se situait en marge de la religion chrétienne, qui n'eut de cesse de le combattre en tant qu'hérésie. Le gnosticisme postulait que le Dieu de la Bible ne serait pas le créateur de notre monde, mais simplement l'orgueilleux et faillible envoyé de la Puissance originelle, et que des vérités cachées, accessibles aux seuls initiés, sous-tendaient la véritable structure d'un univers envisagé comme peuplé d'entités diverses : anges, démons, esprits...
Ce terreau de croyances occultes, qui aurait perduré jusqu'à nos jours en adoptant des formes très variées, a ensuite été ensemencé au xixe siècle, par exemple en 1877 et 1888, quand la médium russe Helena P. Blavatsky rédigea Isis dévoilée puis La Doctrine secrète. Dans ces deux ouvrages, elle se basait sur des révélations spirites pour décrire un monde créé par les anges, à l'histoire jusque-là inconnue. Histoire que l'auteur inspirée était en mesure de dévoiler : ses talents lui permettaient d'accéder aux « archives âkâshiques », une bibliothèque éthérée renfermant tous les savoirs accumulés par l'humanité depuis l'aube des temps. Sa doctrine fut reprise par nombre de penseurs, souvent des dissidents de la Société théosophique-. Le pédagogue Rudolf Steiner, le mystique Georges I. Gurdjieff, maître spirituel de Louis Pauwels, furent du nombre.
A partir de 1960, substituer extraterrestres à anges permettait de surfer sur la crête d'une cosmique vague de fond conceptuelle, de remettre au goût du jour toute une subculture, lue, assimilée, dénoncée tantôt, vénérée parfois, transformée, enrichie, adaptée un siècle durant par des millions de lecteurs enthousiastes sur toute la planète.