Maurizio Ferraris raconte que, lors d’un déjeuner en juin 2011, son jeune collègue allemand Markus Gabriel lui posa une question : « À votre avis, quel serait le bon titre pour un colloque international sur le caractère fondamental de la philosophie contemporaine ? » Réponse du professeur italien : « New realism », soit le « nouveau réalisme ». Ce qu’il entend par là n’est pas une doctrine, mais un état de l’art : « Le nom de l’époque qui suit la postmodernité. » Son idée première est que la réalité n’est pas seulement une construction. Il existe des faits et nous pouvons essayer de les connaître. Jusque-là, nos deux philosophes s’accordent. Chacun développe néanmoins une version personnelle, et pas vraiment consensuelle, de ce « nouveau réalisme ». Dans son Manifeste du nouveau réalisme, M. Ferraris réagit à trois propositions du discours postmoderne, pour les critiquer. Premièrement, contre l’idée que l’être se réduit au savoir que nous en avons, il affirme qu’il n’en est rien : ce qu’il y a n’est pas identique à ce que nous savons de ce qu’il y a. Autrement dit, le réel résiste au regard que nous portons sur lui : l’eau mouille, que nous la regardions ou non. Deuxièmement, contre l’idée que tenir quelque chose pour vrai c’est l’accepter : en fait, vérifier ce qui est en le décrivant n’implique aucunement de l’accepter comme tel. Au contraire, soutient M. Ferraris, la description du réel est la condition de sa critique et de sa transformation. Un médecin qui diagnostique une maladie ne cherche pas à l’accepter : il se donne les moyens de la soigner. Troisièmement, contre l’idée que tout savoir est une forme de pouvoir, M. Ferraris rappelle que le savoir libère plus qu’il opprime. Par ces trois objections, le philosophe redonne au réel la consistance qu’il avait perdue avec les postmodernes, mais ne perd pas de vue que l’on puisse lutter contre. Cette perspective critique, proche de l’Aufklärung d’Emmanuel Kant, laisse d’ailleurs planer un doute sur le caractère tout à fait nouveau d’un tel réalisme.
Manifeste du nouveau réalisme/ Pourquoi le monde n'existe pas
Manifeste du nouveau réalisme. Maurizio Ferraris, Hermann, 2014, 122 p., 18 €.
Pourquoi le monde n’existe pas. Markus Gabriel, Lattès, 2014, 302 p., 19 €.