Mélanie Klein, psychanalyste - ©DOUGLAS GLASS/WIKICOMMONS
Ses partisans décrivent une grande clinicienne, fine observatrice, d’une grande justesse interprétative, très intuitive et créative dans son rapport aux enfants. Ses détracteurs lui reprochent des interprétations spéculatives, parfois farfelues et manquant de fondements scientifiques. Si la psychanalyste Melanie Klein, née en 1882 à Vienne dans une famille de la bourgeoisie austro-hongroise fut une des premières à prêter une vie psychique aux enfants, sa personnalité clivante a été, de son vivant, à l’origine de nombreux débats qui durent encore aujourd’hui.
Le principal point faible de M. Klein réside sans aucun doute dans l’absence de toute formation scientifique, à la différence des plus éminents analystes de l’époque, souvent issus de la filière médicale. Cette fille de médecin se destinait elle-même à des études de médecine, mais un mariage précoce, suivi de plusieurs enfants, a eu raison de ses rêves. Sa méthode est donc essentiellement inductive : pour élaborer ses premières hypothèses sur le développement de l’enfant, M. Klein s’est appuyée sur l’observation de sa propre progéniture. Puis, au fur et à mesure que sa pratique s’est développée auprès des plus jeunes, ses théories se sont étoffées. À sa grande rivale Anna Freud, la fille de Sigmund, elle reprochera à l’inverse de partir des hypothèses du maître pour les plaquer sur les enfants.
Sigmund Freud s’est surtout intéressé aux adultes, et ses théories sur les petits émanent d’adultes évoquant leur enfance. Pour le fondateur de la psychanalyse, les enfants ne sont accessibles à un travail analytique qu’à partir du début de la période de latence – vers 7 ans –, moment qui correspond pour Freud à l’émoussement des pulsions sexuelles et la possibilité d’investir d’autres centres d’intérêt, comme les apprentissages ou les activités de loisirs. Avant cet âge, il estime qu’ils sont dépourvus d’une vie mentale indépendante en raison de leur immaturité neurologique. Or, selon M. Klein, le bébé a, dès son plus jeune âge, une vie fantasmatique et émotionnelle très riche. Il est en mesure de ressentir des envies, des angoisses, de l’agressivité, avant même d’accéder à une vision unifiée de l’autre, aux alentours du huitième mois. Ces théories dérangent au plus haut point les freudiens de l’époque, qui voient en elle une hérétique remettant en cause les fondements mêmes de la psychanalyse. Elle ose, en effet, situer le complexe d’Œdipe à la fin du sevrage et non plus à 5 ans, comme le pense Freud.
Tout comme elle affirme l’existence d’une sexualité féminine singulière. D’après M. Klein, les filles auraient très tôt conscience de leur propre appareil génital. Leurs angoisses seraient centrées sur l’invisible et l’incertain, quand celles des garçons tourneraient autour de la castration. Pour M. Klein, l’Œdipe est prégénital, c’est-à-dire antérieur à l’investissement des organes génitaux comme zones érogènes. La figure centrale du développement psychique de l’enfant n’est donc plus le « père castrateur », mais la « mère sevreuse », celle qui signifie la fin de l’allaitement ou du biberon. M. Klein, qui a entretenu toute sa vie des relations très conflictuelles avec sa propre mère, puis avec sa fille (lire biographie ci-contre), s’est intéressée aux mères, bien plus qu’aux pères.
Naissance de la psychanalyse d'enfant
Encouragée par ses premiers mentors, les psychanalystes Sándor Ferenczi (1873-1933) et Karl Abraham (1877-1925) qu’elle consulte pour soigner une grave dépression qui la ronge depuis des années, M. Klein s’intéresse très tôt au travail psychanalytique avec les enfants. Comme elle, K. Abraham est persuadé que l’analyse des petits constitue l’avenir de la psychanalyse. En 1919, elle présente sa première étude sur son fils Erich (sous le nom de « Fritz ») à la société psychanalytique de Budapest qu’elle intègre peu après. Ses observations sont jugées pertinentes, mais la grande majorité des analystes de l’époque n’y prêtent guère attention : la psychanalyse d’enfants n’est encore qu’à ses balbutiements. Et un fait divers dramatique survenu en 1924 contribue à rendre l’opinion publique d’autant plus méfiante : la psychanalyste Hermine Hug-Hellmuth, autre pionnière de la psychanalyse, est assassinée par son neveu de 18 ans. Neveu qu’elle a élevé et, surtout, analysé pendant son enfance ! L’exercice pourrait-il donc s’avérer à ce point contre-productif ? Contre vents et marées, M. Klein persiste dans ses recherches et commence à soigner ses premiers patients.