Ce livre fonctionne comme une encyclopédie, à la croisée de l’histoire de la diffusion de la psychanalyse à travers le monde et de celle de la modernisation culturelle. Émergent ainsi des figures méconnues, mais pionnières, comme à Calcutta Girindrasekhar Bose à partir de 1921 ou Eduardo Urzaiz Rodríguez au Mexique en 1907. Ces lectrices et lecteurs excentrés de Sigmund Freud s’en sont approprié les théories en les adaptant à leur environnement. Ils y introduisent souvent, par exemple, une réflexion prenant en compte la « situation coloniale » : c’est le cas, chacun à leur manière, de Frantz Fanon et d’Octavio Mannoni dont les divergences de vues sont, ici, présentées de manière très atténuée. Omniprésente tout le long du livre, la « situation » est raciale aux États-Unis, aux Antilles françaises et en Afrique du Sud. Au Brésil, avec Nise da Silveira qui y introduit l’analyse de classe sociale, la psychanalyse se mâtine de marxisme, tout comme en Argentine les psychanalystes sont très influencés par le marxisme de Louis Althusser. On appréciera les vignettes personnelles avec photo illustrant ces quatorze textes panoramiques, entretiens et portraits. On y trouve entre autres la figure de Moustapha Safouan, créateur lacanien du groupe des psychanalystes arabophones, et de Wulf Sachs, lituanien vivant en Afrique du Sud et auteur en 1937 de Black Hamlet. Pour conclure, il n’y a pas à proprement parler une, mais des psychanalyses aux pratiques et théories diverses qui n’ont peut-être aujourd’hui en commun que de participer au vaste courant de la critique postcoloniale. Cette psychanalyse d’outre-mer donne à penser que la libération de l’intime est aussi une question politique.