Mutisme sélectif : pourquoi ne parlent-ils pas ?

Vivants et bavards à la maison, muets et paralysés à l’école. Ou l'inverse. Ces enfants souffriraient parfois d’un « mutisme sélectif ». Quelle est l’origine de ce blocage, et comment les aider ?

«J ’ai une fille de 23 ans qui est étudiante apprentie en Master 2. Scolarisée en maternelle un peu avant ses trois ans, nous avons été étonnés d’apprendre qu’elle n’y parlait pas beaucoup, alors qu’à la maison aucun trouble n’existait. Elle était épanouie, avait marché à 10 mois, était propre jour et nuit à 15 mois et nous parlait beaucoup en famille. Somme toute, elle était plutôt en avance sur ses aînés à pareil âge. En deuxième année de maternelle, l’enseignante (qui me paraissait beaucoup m’observer) m’a indiqué qu’elle était inquiète, car notre fille était totalement muette avec elle et les autres enfants… » Ce témoignage d’une maman publié sur le site de l’association Ouvrir la voix illustre très bien le dilemme des enfants mutiques. Intelligents et vifs de nature, ils voudraient bien parler, mais n’y parviennent pas. Comme pour cette petite fille, souvent rien dans leur comportement à la maison ne laisse présager de leurs difficultés en dehors. Et pourtant, c’est là que tout se fige. « Mon fils n’osait même pas prendre un bonbon qu’on lui tendait. Il fallait que ce soit moi qui lui donne », explique Valérie Marschall, présidente de l’association.

Le mutisme sélectif n’est en effet pas seulement l’incapacité de parler à certaines personnes, mais plus largement de communiquer. « Je connais un enfant mutique qui s’est cassé une jambe à la piscine. Il a été incapable de sortir un son de douleur », relate Valérie Marschall. Toute la sphère orale bloquée, certains enfants rechignent même à manger en public. Les situations sociales provoquent chez eux des angoisses terribles qui se traduisent par des palpitations cardiaques, mains moites, nausées ou sensations de gorge serrée. Ces enfants ont aussi souvent une allure très raide, un visage inexpressif ou un regard fuyant.

Des hypothèses controversées

Le médecin allemand Adolf Kussmaul a été le premier en 1877 à décrire ces symptômes cliniques en parlant « d’aphasia voluntaria » (silence délibéré). Pour ce médecin, il s’agissait donc d’un blocage volontaire, idée reprise quelques années plus tard en 1927 par la psychanalyste Sophie Morgenstern. Elle parle de « l’expression d’une provocation, d’une opposition reliée aux conflits intrapsychiques d’une personnalité hystérique » et évoque même une dimension « sadique ». C’est le psychiatre suisse Moritz Tramer qui utilise pour la première fois en 1934 le terme de « mutisme électif ». Selon cette conception, l’enfant « élirait » en quelque sorte les personnes à qui il s’adresse. Moritz Tramer associe le mutisme à un trouble grave de la personnalité. D’autres auteurs vont le rapprocher de la psychose infantile.

Aujourd’hui, ces conceptions sont bel et bien révolues. Le mutisme sélectif est plutôt considéré comme un trouble anxieux. La dernière édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM 5) le définit comme « l’impossibilité régulière à prendre la parole dans des situations sociales spécifiques alors que la personne parle correctement dans d’autres situations ». Cette impossibilité ne doit pas être le fait d’un trouble du langage, ni d’un trouble de la communication. Il faut donc bien distinguer le mutisme sélectif d’autres troubles, tels que l’aphasie ou l’autisme.

• Élisa Shipon-Blum, « Comprendre le mutisme sélectif. Guide à l’usage des parents, enseignants et thérapeutes », 2009. • Angela E. McHolm, Charles E. Cunningham, Melanie K. Vanier, « Aider son enfant à surmonter le mutisme sélectif. Guide pratique pour surmonter la peur de parler », , 2011. • Paschale McCarthy,, MJW Fédition, 2013. • Valérie Marschall, AG Edition, 2013.