Surveiller et punir

Naissance de la prison

Contrôle des individus, dressage des corps, développement du système carcéral… Pour Michel Foucault, le pouvoir des sociétés modernes s’est construit sur une organisation minutieuse de la discipline.

À Paris, le 19 juillet 1836, plus de 100 000 personnes se sont massées pour assister au départ des forçats, enchaînés par leur collier de fer. Les dernières processions de bagnards traversent la France. « Les spectateurs (…), comme au temps des supplices publics, poursuivent avec les condamnés leurs échanges ambigus d’injures, de menaces, d’encouragements, de coups, de signes de haine et de complicité. » À partir de 1837, les détenus seront transportés dans de « décentes voitures cellulaires », soustraits ainsi au regard de la foule. Le dernier rituel public de la « liturgie des supplices » disparaît. « La détention pénale a pris la relève ». Pour Michel Foucault, on est définitivement « passé d’un art de punir à un autre ».

L’extinction du châtiment spectacle

Dans son ouvrage, Surveiller et punir, paru en 1975, il explique comment et pourquoi, à ce qu’il nomme « l’âge classique », entre le 17e et le 19e siècle, « l’enfouissement bureaucratique de la peine » a progressivement remplacé le « châtiment spectacle » de l’Ancien Régime. Dans toute l’Europe au début du 19e siècle, les gibets, le pilori, l’échafaud, la roue ont disparu pour laisser place à « des pratiques punitives plus pudiques » : prison, réclusion, travaux forcés, déportation…

Depuis le Moyen Âge, des procédures pénales punissaient les auteurs de crimes selon une hiérarchie de châtiments spectaculaires. La peine de mort comportait ainsi de multiples variantes : simple pendaison, pendaison avec poing coupé et langue percée ou, pour les crimes plus graves, étranglement ou bûcher avec membres et corps rompus… En 1757, le régicide Robert Damiens, qui avait frappé Louis XV d’un coup de canif, est écartelé sur la place de Grève à Paris. C’est par la description détaillée de ce supplice que s’ouvre le livre.

Pour Foucault, sous la monarchie absolue, le supplice judiciaire doit être compris comme un rituel politique. Puisque la loi est la volonté du souverain, le crime attaque celui-ci personnellement. Le droit de punir revient donc au prince qui exprime ainsi sa vengeance. La souveraineté blessée est restaurée par l’éclat des châtiments publics qui s’insèrent dans les autres rituels de pouvoir. D’où l’importance de cette liturgie des supplices, qui témoigne du triomphe de la loi. Dans ce cérémonial, la punition est exemplaire pour le peuple, lequel fait acte d’allégeance à son souverain en prenant part au châtiment.