Gregory Bateson (1904-1980)

Penser le changement

« Vers une écologie de l'esprit » est un ouvrage aussi éclectique que son auteur. Une seule pensée y est pourtant à l'oeuvre, que Gregory Bateson mobilise pour étudier la régulation et les conditions de changement des sociétés.

Vers une écologie de l'esprit est un livre intimidant. Publié en 1972, il récapitule l'itinéraire d'un auteur qui a alors abordé des domaines aussi variés que l'anthropologie, la psychothérapie, la biologie ou l'écologie. Sautant d'un champ à l'autre, Gregory Bateson a forgé une pensée qui éclaire la question de l'organisation dynamique des sociétés et celle de leur changement.

Un métalogue, explique G. Bateson, est une sorte de conversation dans laquelle la structure du dialogue éclaire le problème traité tout autant que le contenu des messages. Faut-il ne voir dans cette « définition » qu'un simple avertissement à l'usage du lecteur ? Celui-ci risque, il est vrai, d'entamer en toute ignorance la lecture des sept métalogues qui introduisent le livre. Ces dialogues mettent en scène un père et sa fille qui l'interroge sur les thèmes les plus variés. « Ces conversations sont-elles sérieuses », demande la fille, ou bien s'agit-il « d'une sorte de jeu qu'on joue ensemble ? » Dans ce cas, quelles en sont les règles ? Et sont-elles définies une fois pour toutes, ou bien s'avèrent-elles aussi mouvantes que les maillets-pélicans, les boules-hérissons et les arceaux-soldats du jeu de croquet d'Alice au pays des merveilles ? C'est ce que les interlocuteurs découvriront dans le cours même de leur conversation.

En commençant son livre par cette série de métalogues, dans quel jeu G. Bateson entraîne-t-il le lecteur ? Ce n'est qu'en jouant que ce dernier pourra le savoir. De même que la structure du livre, son unité intime, ne surgira que du processus, de la forme même de l'exposition. De fait, comment envisager a priori une unité dans ce recueil d'articles, parus sur une durée de trente-cinq ans, qui abordent tour à tour l'anthropologie, la théorie de l'apprentissage, l'analyse de la schizophrénie, l'évolution des espèces ou la dynamique des écosystèmes ? Les fragments hétéroclites de l'ouvrage se présentent pourtant comme autant d'étapes (steps) d'une seule et unique pensée en constante reformulation. Une pensée à l'image d'un système vivant qui se réorganise, se complexifie, à mesure qu'il saute d'un environnement à l'autre, d'un champ de recherche au suivant. L'expression énigmatique d'« écologie de l'esprit » embrasse tout autant ce mouvement réflexif que la dynamique des systèmes qu'il entend décrire. A la manière du dessin de Maurits Escher où une main dessine une autre main qui dessine la première, Steps to an Ecology of Mind - selon le titre original - s'esquisse progressivement comme une structure autoréférentielle.

Une pensée à l'image d'un système vivant