Paru en janvier 2021, le livre de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel intitulé Race et sciences sociales 1 a vite fait parler de lui. En dépit de son contenu passablement académique, il eut droit à de vertes remontrances de la part de commentateurs et journalistes de gauche (mais pas tous), et de compliments de la part de médias de droite (mais pas seulement). Sur les réseaux sociaux, S. Beaud et G. Noiriel récoltèrent une telle bordée de noms d’oiseaux que plusieurs de leurs collègues se fendirent d’une tribune dans Le Monde pour leur défense 2. Quel était donc le sujet qui fâchait ? Le livre se présentait comme une étude historique de la montée en puissance, dans la sociologie française, de la grille d’analyse ethnique-raciale comme clé explicative de discriminations constatées. Après un résumé de l’usage variable de la notion de race dans la vie politique française, S. Beaud et G. Noiriel rappelaient la manière dont, en France, le problème du racisme, dans les années 1980, était directement rapporté à l’existence de préjugés contre les immigrés et leurs descendants. L’antiracisme, assumé par la gauche au gouvernement, donnait ainsi lieu à la « marche pour l’égalité » surnommée aussitôt « marche des beurs ». La décennie suivante, la querelle dite des « statistiques ethniques » posait la question des bons et mauvais usages publics de catégories non universelles (origines, langues maternelles, etc.). Partiellement introduits dans des enquêtes sociales, ces indicateurs livraient au regard de tous l’existence d’inégalités profondes liées aux origines des familles, sans en élucider forcément la cause. Un lien sera fait, dans les années 2000, par de nouveaux instruments de mesure (testings et enquêtes de victimation) mettant en évidence des discriminations à l’embauche, au logement et dans les rapports avec l’autorité affectant des personnes d’origine non européennes. Comment ne pas y voir un racisme diffus, persistant et silencieux ? Un « racisme sans racistes », qu’une décennie plus tard, on nommera « systémique » ou « structurel » (encadré ci-dessous).
Une redéfinition du racisme
C’est sur cet acquis qu’en 2006, Didier et Éric Fassin réunissaient un volume 3 dont la leçon tirait un lien entre les affaires de voile musulman, les émeutes de l’année précédente et la « racialisation de la société française », impulsée aussi bien par la droite xénophobe que par les revendications de certaines minorités. D. Fassin invitait les sociologues à « combler leur retard » et à cesser de « refuser de voir ». Il proposait une redéfinition du racisme comme « constitué par l’expérience de la victime », et suggérait que l’« aveuglement à la race » était une manière de nier des discriminations avérées.