Personnalité : la part des gènes

Etre inhibé ou extraverti : ce trait de personnalité serait, selon le psychologue Jerome Kagan, lié à une composante génétique. Une recherche qui s'inscrit dans le courant en plein essor de la génétique du comportement.

En l'an II, un médecin grec, Galien, perfectionne une théorie avancée sept cents ans plus tôt par Hippocrate : les différences de tempérament entre les hommes - c'est-à-dire de personnalité fondamentale - sont liées à leur constitution physique. En fonction de deux couples de qualités corporelles - chaud/froid et sec/humide - et des quatre « humeurs » sécrétées par le corps - bile jaune, bile noire, sang et phlegme (lymphe) -, il distingue neuf tempéraments. Par exemple, « le mélancolique est froid et sec du fait d'un excès de bile noire ; le sanguin est chaud et humide par suite d'un excès de sang » 1.

Les théories de Galien font autorité jusqu'au xviie siècle. Elles s'accordent bien avec l'esprit d'une société conservatrice et hiérarchisée, où l'on naît de sang noble ou roturier, et où l'on demeure au rang que cette naissance vous a assigné.

A la fin du siècle, le philosophe anglais John Locke propose une théorie bien différente : selon lui, les enfants naissent pareils ; ce sont les expériences vécues pendant l'enfance qui déterminent leur personnalité, leur caractère, leurs connaissances. C'est la bonne théorie pour le siècle des Lumières, ce xviiie siècle où apparaît, en Angleterre et en France, une aspiration à la démocratie. Ce qui fonde l'accès au pouvoir, c'est le mérite, et le mérite, chacun peut l'acquérir par l'éducation.

Caractère inné, fruit de la constitution physique ; caractère acquis, façonné par le milieu : les deux courants sont en place. Ils vont continuer à évoluer, et à se combattre.

publicité

Du côté de l'hérédité : Charles Darwin. En 1859 paraît L'Origine des espèces, son ouvrage majeur, dans lequel il expose sa théorie de l'évolution par sélection, parmi les mutations qui se produisent spontanément, de celles qui sont favorables à la survie de l'espèce. Un cousin de Darwin, Francis Galton, se dit : l'avantage essentiel de l'homme sur l'animal, c'est son intelligence ; donc celle-ci doit être héréditaire. Et il entreprend de prouver, en étudiant les familles des grands hommes, « l'hérédité du génie » (tel est le titre de son livre, Hereditary Genius, publié en 1869).

D'autres attaquent le problème par l'autre bout : démontrer que la débilité mentale, la folie, les tendances criminelles sont, elles aussi, héréditaires. Emile Zola illustre cette thèse dans sa fresque des Rougon-Macquart : les héros des vingt volumes sont équilibrés ou déséquilibrés selon qu'ils ont hérité les gènes sains de leur aïeul Pierre, ou les gènes malsains de leur aïeule névrosée Adélaïde. Ce que Zola imagine, des chercheurs s'évertuent à le prouver : les Rougon-Macquart ont un équivalent dans la réalité, les Kallikak.

Un soldat américain, Martin Kallikak, a engrossé une servante d'auberge faible d'esprit, avant de retourner chez lui épouser une jeune fille de bonne famille. En 1912, Goddard publie une étude sur cette famille : du côté de l'épouse, il n'a trouvé que des gens normaux, ou presque, tandis que les 480 descendants de la servante constituent une jolie collection de débiles mentaux et de délinquants. Il en conclut - comme Zola, mais « scientifiquement » ! - que la débilité mentale de l'aïeule s'est transmise à ses descendants.

La vogue des théories héréditaristes a eu une conséquence pratique : l'eugénisme. En 1907, l'Etat de l'Indiana impose la stérilisation pour empêcher la transmission de tares, « étant donné que l'hérédité joue la part la plus importante dans la transmission du crime, de l'idiotie et de l'imbécillité ». Cet exemple est suivi, aux Etats-Unis, par 21 Etats.

Pendant ce temps, les environnementalistes trouvent, eux aussi, leur champion : Freud. Celui-ci a émis l'hypothèse que des comportements bizarres, incompris de celui qui s'y livre, peuvent s'expliquer par des événements vécus dans la première enfance, et dont le souvenir a été refoulé dans l'inconscient ; en faisant remonter ce souvenir à la conscience, on permettrait au sujet de recouvrer sa liberté d'agir sur lui-même. Freud ne nie pas que des traits de caractère innés puissent jouer un rôle, mais il minimise ceux-ci, et il n'en parle guère.

Après la Seconde Guerre mondiale, la découverte des crimes nazis, commis au nom de théories eugéniques, discrédite complètement celles-ci. Avec elles, c'est toute recherche tendant à démontrer l'héritabilité de comportements, que ceux-ci soient cognitifs (« l'intelligence ») ou psychologiques, qui devient suspecte : ceux qui les entreprennent se voient aisément taxer de fascisme. Freud et la psychanalyse triomphent. Les psys qui traitent les troubles psychiques, que ce soient des maladies mentales, des névroses ou des troubles du comportement, en cherchent l'origine dans la petite enfance du patient, et tentent d'amener celui-ci - ou ses parents - à en prendre conscience pour s'en débarrasser.

Depuis une vingtaine d'années, les recherches sur le rôle de la génétique dans les comportements, animaux et humains, attirent à nouveau l'intérêt, pour diverses raisons. Tout d'abord, la découverte des médicaments psychotropes, les progrès réalisés dans la connaissance du développement, du fonctionnement, de la biochimie du cerveau conduisent à penser que les maladies mentales ne sont pas purement psychiques, mais qu'elles ont au moins une composante organique ; et les études de familles de malades, de jumeaux dont un seul était atteint ont suggéré que ces troubles étaient plus fréquents dans certaines familles que dans d'autres.

Les parents de schizophrènes, d'autistes, las d'entendre attribuer la maladie de leur enfant à leur incohérence ou à leur froideur, ont accueilli cette ligne de recherche avec enthousiasme, ébranlant par contrecoup la domination de la psychanalyse. Le lancement de l'énorme projet « génome humain » et les attentes dont il est l'objet contribuent peut-être aussi à la réhabilitation du terme même de génétique, en substituant une association positive avec les termes d'espoir, de thérapie à l'association négative avec le terme d'eugénisme...