Petite histoire de la mesure de l'intelligence

Pourquoi mesurer l’intelligence ? Comment ? Ces questions ont poursuivi les psychologues au fil du XIXe siècle, jusqu’à la mise au point des premiers tests psychométriques en 1905.

Au début du XXe siècle, Alfred Binet (1857-1911) et Théodore Simon (1873-1961) plan- chaient sur la première « échelle métrique de l’intelligence », dont l’ambition était d’établir un « diagnostic scientifique des états inférieurs de l’intelligence » ou encore d’évaluer le niveau intellectuel des « anormaux ». Si la brutalité de ces termes fait aujourd’hui frémir, rappelons que Binet s’est basé « sur ce qui se faisait en psychiatrie », comme le précise Serge Nicolas, professeur de psychologie cognitive, spécialiste de l’histoire de la psychologie et auteur de l’introduction de L’Élaboration du premier test d’intelligence. Œuvres choisies II 1. L’intelligence ne fut pas le seul objet d’étude de Binet. D’abord diplômé en droit après ses études secondaires au lycée Louis-le-Grand à Paris, il est admis au barreau de Paris mais démissionne quelques années plus tard. Il engage ensuite des études de médecine, qu’il finit par abandonner avant d’opter pour des cours de psychophysiologie et de psychiatrie. En 1883, il rejoint le service de Jean-Martin Charcot (1825-1893) à la Salpêtrière, par l’entremise de Joseph Babinski, ancien congénère de Louis-le-Grand. Là-bas, il mène des recherches sur l’hypnotisme et la suggestion, et s’intéresse, comme tant d’autres, à l’hystérie. En 1894, il soutient une thèse en sciences naturelles sur le système nerveux sous-intestinal des insectes (!). Mais l’intelligence, et son étude scientifique, devient son principal objet d’intérêt dès les années 1890.

De la bosse des crânes à l’eugénisme

Avant lui, d’autres s’étaient essayés à l’évaluer scientifiquement, notamment par l’étude… du crâne. Comme l’écrit Serge Nicolas, ce fut d’abord l’ambition du pasteur suisse Johann-Kaspar Lavater (1741-1801) et de sa « physiognomonie », selon laquelle les personnes à l’angle facial plus ouvert étaient susceptibles d’avoir un crâne et un cerveau plus développés, synonymes de plus grande intelligence. Puis de Franz Joseph Gall (1758-1828) et autres « phrénologues », pour lesquels les facultés et penchants étaient innés : Gall avait « découvert » vingt-sept facultés fondamentales dont « la sagacité comparative », « l’esprit métaphysique et la profondeur d’esprit » ou encore « l’esprit caustique », sous-tendues par des protubérances crâniennes (l’expression « bosse des maths » vient de là).

C’est ensuite le savant anglais Francis Galton (1822-1911), cousin de Charles Darwin, qui a introduit l’idée des tests d’intelligence. « En 1859, la lecture du livre Sur l’origine des espèces de son cousin Charles Darwin le bouleverse, raconte Serge Nicolas. Il décide alors immédiatement d’étendre les conséquences de la sélection naturelle au cas de l’homme et de la société. »

Après avoir affirmé le caractère inné des capacités intellectuelles et minimisé le poids de l’environnement, Galton évoque la possibilité d’une accélération de l’évolution intellectuelle humaine via un programme de sélection. Idéologie qu’il qualifie en 1883 d’« eugénisme ». Pensant que les caractères psychologiques, innés, sont en relation avec des caractères physiques, Galton cherche à élaborer des mesures anthropométriques intégrant, entre autres, la mesure de la taille du cerveau. « Il reconnut cependant assez rapidement (qu’elle) était un indicateur imparfait et pensa qu’elle devait interagir avec l’efficacité globale du système nerveux pour produire l’intelligence », telle que le temps de réaction. Dans QI et intelligence humaine 2, le psychologue expérimental britannique Nicholas John Seymour Mackintosh (1935-2015) écrit sur Galton qu’il « ne doutait pas de l’infériorité intellectuelle des sauvages. On n’a aussi aucune peine à désapprouver dans ses écrits son manque évident de sensibilité ainsi que son racisme. »