Peuples premiers, autochtones, racines... De qui parle-t-on ?

Ces peuples sont dispersés à la surface de la Terre. Ils sont dits premiers, témoins de modes de vie d’avant l’État ; autochtones, expropriés de leurs terres par les États ; racines, héritiers de savoirs qui pourraient nous aider…

Janvier 2020. L’aube se lève sur la province de Mondolkiri, Cambodge. Un petit groupe de touristes occidentaux s’assemble auprès du guide pour une excursion en terre bunong. Les Bunong, ou Mnong, sont des habitants de la jungle, à cheval sur la frontière entre Cambodge et Viêtnam, un de ces rares lieux où se découvrent encore des représentants de mammifères inconnus de la science, cervidés nains, petits singes ou rongeurs. On murmure même qu’y rôdent encore des tigres, que l’on dit fantômes. Le dernier formellement identifié est tombé sous les balles de braconniers en 2007 – sa dépouille a dû se vendre à prix d’or en Chine.

Une histoire de violences

Pour aujourd’hui, le guide emmène les touristes dans la « jungle ». Enfin, c’est ce qui était promis par le tour operator. Sauf qu’il n’y a plus de jungle, au sens d’une forêt tropicale plus ou moins sauvage. Un milieu de prairies jalonnées de bois où poussent de manière anarchique diverses plantes, toutes issues de cultures plus ou moins abandonnées, des fruitiers que l’on laisse prospérer, beaucoup de végétation invasive… La province du Mondolkiri était boisée pour plus de 75 % de sa surface à la fin des années 1990. À vue de photos satellite, il reste moins de 25 % de forêts, grignotées par les insatiables appétits chinois et vietnamiens pour la ressource en bois. Outre quelques zones classées et effectivement protégées, la seule partie préservée se trouve sur la frontière, montagneuse et inaccessible. Les Bunong ? La plupart sont devenus bûcherons. Leur savoir de chasseurs-cueilleurs-agriculteurs nomades, maîtres des éléphants, devient inutile en ce monde où le changement climatique tend à assécher les moussons sur l’Extrême-Orient asiatique, tout en les intensifiant sur les côtes d’Afrique orientale.

En Afrique, ce sont les Pygmées qui font face à la dépossession. Ils avaient pourtant cru que l’interminable grignotage de leurs territoires était fini. Ils avaient obtenu de rester dans une part de leur forêt, sanctuarisée comme parc naturel, en cédant une autre part pour l’exploitation forestière – la coupe à ras des bois ancestraux y ouvre l’espace à une savane tout juste propre à accueillir quelques têtes de bétail. Jusque dans le sanctuaire, leurs modes de vie sont en péril. Il leur est interdit d’y chasser, et les gardes forestiers, ex-militaires de la République démocratique du Congo, sont complètement étrangers au vécu des Pygmées, dont le quotidien est tissé d’interactions pratiques et symboliques avec la forêt. Ils les empêchent d’accéder à ces ressources au motif qu’il s’agit de bois protégés – ce qui leur permet de racketter les Pygmées, mode classique d’interaction des forces armées avec les populations locales dans des États faillis.

Ces histoires pourraient se répéter jusqu’à l’écœurement, de l’Afrique au Brésil de Jair Bolsonaro, puis ailleurs. Elles ont pour enjeu central des peuples que l’on a longtemps retranchés de cet espace commun que les géographes appellent écoumène. Des peuples que l’on redécouvre aujourd’hui. Ils sont dits peuples premiers dans la littérature anthropologique, peuples autochtones lorsque l’on considère leurs droits, et ceux qui entendent se mettre à l’école de leur savoir parlent de peuples racines.

publicité

Trois expressions pour les mêmes peuples

Peuples autochtones, premiers, racines… Chaque expression utilisée pour désigner ces collectifs est porteuse de sens différents.

• Peuples autochtones est une qualification en droit, une catégorie juridique en vigueur dans les instances onusiennes. La définition implique que ces peuples ont été victimes de dépossessions territoriales dans le passé et qu’il en résulte une situation de discrimination à laquelle il conviendrait de remédier. Si la qualification est porteuse de droits, la catégorisation ne repose sur aucune définition substantielle mais sur un faisceau d’éléments interprétés sur place par les États souverains. L’Onu est une assemblée d’États où les peuples autochtones disposent d’un droit de participation. Leurs représentants (parfois des chefs traditionnels, fins connaisseurs des coutumes de leurs peuples, capables d’identifier des milliers de plantes médicinales de leurs forêts sans avoir été scolarisés…) rencontrent de grandes difficultés pour accéder aux ressources culturelles et financières indispensables à l’exercice d’une influence à l’Onu.