Nous et les autres

Peut-on vivre sans stéréotypes sur autrui?

Se dire chti, français ou européen n'est pas neutre : cela dépend du groupe auquel on se rattache et de celui dont on se distingue. L'appartenance à un groupe implique aussi des croyances sur « nous » et « les autres » qui deviennent parfois de véritables jugements racistes.

L'Être humain est une créature fondamentalement sociale. Dès sa naissance, il doit apprendre à interagir avec autrui, à commencer par sa mère. Mais il est également membre d'un groupe, qui peut être de dimension variable : il appartient à une famille, qui est elle-même inclue dans un groupe plus large, une catégorie sociale, une ethnie ou une nation. L'identité de chacun est constituée de différentes étiquettes : blanc, bourgeois, provincial, scientifique, français, etc.

Les psychologues sociaux se sont intéressés à ce que cachent ces étiquettes. Si je me dis blanc, c'est en général pour dire que je ne suis pas de couleur, si je me dis français, c'est que je ne suis pas anglais ou italien. Chaque étiquette nous relie à un groupe et nous oppose à un autre. Mais chaque étiquette contient également en elle toute une quantité d'information. Si je suis français, je suis sans doute bon cuisinier et chauvin. Si je suis belge, j'aime sûrement la bière et je suis un peu benêt. L'Italien est un amoureux romantique et un extraverti, etc. Toutes ces idées préconçues nous facilitent en fait la compréhension de la complexité des relations sociales. Mais elles mènent aussi à des jugements et des comporte-ments dangereux, comme le racisme et la xénophobie.

Un contre un, tous contre tous

Malgré son caractère profondément social, l'être humain entretient des relations parfois biscornues et paradoxales avec son entourage. Son comportement n'est pas le même lorsqu'il interagit en tant qu'individu avec un autre individu, ou en tant que membre d'un groupe avec un autre groupe. Des expériences le montrent. Lorsqu'on donne à quelqu'un une information neutre sur une autre personne en la prévenant qu'elle devra la rencontrer, son jugement sera plus favorable que si elle ne doit pas la rencontrer 1. L'anticipation du contact suffit à concevoir autrui sous un jour plus favorable. Cet optimisme correspond à une illusion adaptative et raisonnable : tant qu'à interagir avec quelqu'un, mettons-nous dans les meilleures dispositions vis-à-vis de lui pour que l'interaction soit la plus agréable possible.

Par contre, lorsqu'un groupe anticipe un contact avec les membres d'un autre groupe, il n'est pas aussi optimiste : dans une célèbre expérience, le psychologue Muzafer Sherif et ses collègues 2 avaient organisé une colonie de vacances pour des enfants. Ils les avaient divisés en deux groupes, l'un à une extrémité d'un immense domaine, l'autre à l'autre extrémité. Chaque groupe croyait être seul dans le domaine. Quand la culture de chaque groupe se fut créée, que les rôles furent distribués et les réseaux d'amitié installés, Sherif prévint chacun des groupes de l'existence de l'autre groupe. Cette seule information suscita l'hostilité de chacun des groupes envers celui qui ne pouvait être qu'un rival.

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Comment se fait-il qu'un individu imagine positivement un futur partenaire, mais qu'un groupe conçoive avec agressivité l'existence d'un autre groupe ? Plusieurs explications sont possibles. La principale est sans doute que l'être humain cherche toujours à trouver l'équilibre entre ce qui le rend à la fois semblable et différent des autres. Et également à être toujours sous son meilleur jour. Bien sûr, cet équilibre peut varier d'une situation à l'autre, comme d'une culture à l'autre. Il est certain que la personne qui vient d'être défigurée dans un accident de voiture cherche surtout à ce que son entourage oublie ses blessures et la considère « comme tout le monde ». Par contre, la jeune fille qui étrenne une nouvelle toilette lors d'un mariage préférera que l'on remarque son originalité, sa tenue hors du commun. De même, certains pays, dont la culture est plutôt collectiviste (comme le Japon ou le Brésil), valorisent la similitude davantage que d'autres pays, plus individualistes (comme la France ou les Etats-Unis).