« Que puis-je savoir ? », « que dois-je faire ? » et « que m’est-il permis d’espérer ? » : répondre à ces trois questions – laissons la quatrième de côté pour l’instant –, telle est la tâche qu’assignait Emmanuel Kant à la philosophie.
Dans les pages qui suivent, on rencontrera des philosophes en titre, mais aussi des penseurs hors-les-murs – deux sociologues, un historien, un spécialiste de littérature. Leurs réflexions ont ceci de commun qu’elles s’efforcent de voir large et d’aborder de grandes interrogations, tout en s’alimentant de connaissances concrètes, touchant à l’état du monde, de la société et de l’art tels que nous les vivons aujourd’hui. S’ils ne proposent pas de système, leurs approches sont fondées sur des pensées élaborées et personnelles, souvent construites depuis de longues années, telle l’anthropologie de la violence de René Girard, l’humanisme technophile de François Dagognet, la pensée de la complexité d’Edgar Morin. Philosophes, donc, ils le sont à coup sûr, car l’on verra aisément que leurs propos se soucient de répondre aux trois interrogations de Kant.
La philosophie est toujours un point de vue
De la première (« que puis-je savoir ? »), on a jugé qu’elle mettait fin aux ambitions des métaphysiciens. Cerner l’inobservable intéresse encore les penseurs qui aujourd’hui se penchent sur l’être humain là où la science reste muette : par exemple, comprendre la conscience, l’intention, la volonté, l’esprit. Daniel Dennett explique pourquoi il n’y a là peut-être qu’une illusion bénigne orchestrée par le cerveau. Vincent Descombes, lui, place le sens dans la grammaire qui nous relie au reste du monde et des hommes. La vie est un autre grand mystère, que les biologistes au fond, explique Evelyn Fox Keller, ne parviennent pas à comprendre. Non sans raison, car la frontière entre l’animé et l’inanimé n’est peut-être qu’une fiction.