Philosophies en liberté

Best-sellers sur l’art de vivre ou cafés philo témoignent de l’engouement pour la philosophie. Cette discipline a connu ces vingt dernières années une grande ouverture. Qu’il s’agisse d’explorer de nouveaux objets, comme les produits de la culture populaire, ou des questions au cœur de nos sociétés contemporaines, tel l’environnement et la bioéthique, la pensée s’ébat en liberté dans un paysage philosophique profondément renouvelé.

En 1991 paraît Le Monde de Sophie du Norvégien Jostein Gaarder. Écrit sous la forme d’un roman contant les aventures d’une adolescente de 15 ans, le livre offre une initiation à la pensée des grandes figures de la philosophie, Socrate, René Descartes, Emmanuel Kant, Friedrich Hegel… Traduit dans une cinquantaine de langues, il connaît un phénoménal succès. Ce qui pouvait passer il y a près de vingt ans pour un simple coup éditorial prend avec le recul un tout autre sens : il marque l’engouement pour la philosophie qui se fait jour à partir des années 1990 dans le grand public. Depuis lors, la fièvre philosophique n’a cessé de gagner du terrain. Fin 1992, en France, Marc Sautet inaugure aux Phares, place de la Bastille, le premier « café philo ». Dans un cadre convivial, tout un chacun peut venir s’exprimer sur de grandes questions ou écouter les réflexions des autres. Largement médiatisée, l’initiative trouve son public. Les cafés philo essaiment un peu partout. Le terme prend une acception de plus en plus large jusqu’à désigner des discussions non seulement dans des cafés, mais aussi dans des lieux en apparence plus incongrus, comme la prison ou l’hôpital. Loin des bancs de l’université, le café philo entend incarner un lieu de liberté et d’échange à mille lieues d’une philosophie académique perçue comme vieillotte, désincarnée et élitiste. Les best-sellers de philosophie ne cessent également de se multiplier, tel le Traité des petites vertus (1995) d’André Comte-Sponville, les 101 Expériences de philosophie quotidienne de Roger-Pol Droit en 2001, ou le Traité d’athéologie de Michel Onfray en 2005. Pas de spéculation abstraite et gratuite. Qu’il soit question de religion ou d’art de vivre, l’accent mis est clairement existentiel.

 

Une forte demande

Le succès médiatique de la philosophie n’est pas sans faire grincer quelques dents dans le milieu. Déjà les autoproclamés « nouveaux philosophes », incarnés par Bernard-Henri Lévy ou André Glucksmann, apparus au milieu des années 1970 avait essuyé de vives critiques. Qu’il y ait une demande philosophique forte et légitime soit. Mais de nombreux universitaires jugent douteuses la qualité philosophique des textes ou initiatives qui rencontrent le plus de succès. D’où une césure marquée entre cette philosophie grand public et la discipline universitaire. Signe peut-être d’un apaisement, Philosophie magazine naît en 2006 et défend l’image d’une philosophie ouverte sur le monde et l’actualité. Le titre qui vise pourtant un large public n’est pas boudé par les universitaires, bien au contraire, qui acceptent de jouer le jeu de la vulgarisation.