Rencontre avec André Pichot, historien des sciences

Portrait noir de Chales Darwin

Selon André Pichot, la sélection naturelle n’est pas une découverte mais une doctrine sociale qui, une fois parée de l’autorité de la science, s’imposerait comme idée et comme pratique.

Quelle est l’originalité des idées de Darwin ?

Faute d’une théorie de l’hérédité – notion encore balbutiante en 1859 – et d’une théorie de la variation, la thèse de Darwin est centrée sur la sélection naturelle. Mais on ne peut pas dire qu’il en est le découvreur, car c’est une idée qui existait bien avant lui sous diverses formes. Sans remonter à Lucrèce et pour s’en tenir au xixe siècle, elle se trouve déjà chez des auteurs mineurs comme William C. Wells, Patrick Matthew qui accusera Darwin de plagiat, et elle est aussi évidemment chez Alfred Wallace. Je pense que Darwin a repris la version du géologue Joseph Townsend, l’inspirateur de Thomas Malthus. Darwin a reconnu l’influence de ce dernier, mais en réalité la thèse darwinienne est quasiment une copie conforme de la fable publiée par J. Townsend en 1797 pour justifier la suppression des lois d’assistance sociale, et ainsi forcer les pauvres à aller travailler dans les usines. Cette suppression de l’assistance sociale eut finalement lieu en 1834, et elle entraîna le développement, en Angleterre, du libéralisme économique le plus sauvage, jusqu’au krach de 1873. Or, c’est en plein dans cette période que Darwin a proposé sa thèse. C’est lorsque triomphent les idées socioéconomiques de J. Townsend que le darwinisme, inspiré de celui-ci, est devenu une sorte de paradigme universel dans tous les domaines (psychologie, sociologie, linguistique, morale), et pas seulement en biologie. Cela ressemble à ce qu’a été le structuralisme dans la France des années 1960-1970.

• , A. Pichot, Flammarion, 2008.