Pourquoi et comment construire une expérience en psychologie ?

Décrire, expliquer, prévoir : tels sont les trois objectifs de l’expérimentation scientifique. Mais en psychologie, avec un sujet d’étude aussi complexe que l’être humain, les obstacles éthiques et méthodologiques ne manquent pas !

Dans l’imaginaire collectif, l’expérimentation, en particulier sur des êtres vivants, occupe une place assez ambiguë, voire inquiétante. La référence à un savant fou qui administre des chocs électriques, qui fait avaler des substances, qui fouille dans le cerveau, s’active facilement. Et, il faut le reconnaître, cette référence n’est pas seulement le fruit de la fiction. Nous connaissons tous des exemples plus ou moins récents et terrifiants comme les travaux de Joseph Mengele menés sur les jumeaux dans les camps nazis, ou encore ceux visant la création d’êtres hybrides pendant la guerre froide en URSS (un chien à deux têtes par le chirugien Vladimir Demikhov) et aux USA (la tête d’un singe dans le corps d’un autre singe par Robert J. White).

La mauvaise réputation

Avant de répondre à la question « pourquoi expérimenter en psychologie ? », précisons que la réflexion sur la déontologie et/ou l’éthique scientifique a donné lieu à de nombreux dispositifs qui encadrent cette activité. L’avancement de la connaissance ne peut pas se faire au prix de la dignité humaine, du respect des personnes, des animaux et de l’environnement, ni en psychologie ni dans aucune autre discipline. Toutefois, il arrive que, choqués par une procédure expérimentale, on accuse à tort un chercheur de non-respect de l’éthique. Ce fut le cas de Stanley Milgram et de sa célèbre étude sur l’obéissance à l’autorité. Avant de commencer son étude, Milgram a soumis sa procédure à la critique des psychiatres, des spécialistes du comportement, des étudiants, d’adultes tout venant, etc. Personne n’a rien trouvé à redire sur le protocole qui prévoyait le débriefing et un éventuel suivi post-expérimental à la demande des participants. Les prévisions, même les plus pessimistes, n’ont pas été à la hauteur des résultats observés. La plupart des participants (84 %) remerciaient pourtant Milgram de leur avoir offert l’opportunité de participer à cette étude, et l’examen psychiatrique réalisé sur les participants les plus touchés par les actes qu’ils venaient de commettre a montré l’absence de trace de troubles profonds et durables. Quelques années plus tard, les psychologues Barry Schlenker et Donelson Forsyth (1977) ont beaucoup contribué à calmer cette polémique. Ils ont réalisé une étude dans laquelle ils ont demandé aux participants d’évaluer la procédure, mais après avoir truqué les résultats obtenus par Milgram. Lorsque ce n’était pas 65 %, mais seulement 10 % des participants qui arrivaient au choc maximal de 450 volts, personne ne s’indignait, la procédure paraissait appropriée et toutes les précautions prises. Dans le cas de l’étude de Milgram, on peut penser qu’en effet ce n’est pas tant la procédure qui choque, mais les résultats obtenus, c’est-à-dire notre conduite.

La psychologie, comme bien d’autres sciences empiriques et plus particulièrement les sciences du comportement, vise trois objectifs : la description, l’explication et la prévision. Dans ce sens, elle adopte une double démarche : une démarche descriptive en s’interrogeant sur « comment » les choses se passent, et une démarche explicative en cherchant à savoir « pourquoi » les choses se passent ainsi. Chaque démarche a sa spécificité, notamment en ce qui concerne le type d’hypothèses formulées et le choix de la méthode qui permet de les mettre à l’épreuve des faits. L’expérimentation est une méthode adéquate pour tester des réponses anticipées au « pourquoi », c’est-à-dire pour tester les hypothèses explicatives, qu’on appelle souvent causales. En effet, ce sont des hypothèses qui présument non seulement l’existence d’un lien par exemple entre deux phénomènes, mais qui précisent lequel est une « cause » et lequel est son « effet ». Pour comprendre la méthode expérimentale, savoir comment « construire une expérience », il faut d’abord comprendre la notion de lien causal. Or, il se trouve que cette notion mérite d’être clarifiée. Pour définir un lien causal entre deux phénomènes, on avance trois conditions qui doivent être satisfaites :
– 1) l’apparition d’un phénomène conditionne l’apparition d’un autre, c’est-à-dire que quand l’un apparaît, l’autre apparaît aussi ;