« Je pense que mes filles seront plus libres parce que le fait de nous demander plus de choses, le fait de parler plus, je pense que ça amène une sécurité, une liberté déjà intellectuelle qui vont faire qu’elles vont mûrir mieux que moi. » Julie, la mère d’Eva, 11 ans, et de Coralie, 7 ans, rattache la « liberté » et la maturité de ses enfants à un contact plus dense avec le « monde » social via les différents médias, et à son corollaire, un partage plus précoce avec les parents. « Les filles sont plus ouvertes à plein de choses. Moi je me souviens, à l’âge d’Eva, j’étais encore très petite bébé, encore très petite fille. J’étais pas du tout branchée musique. Il n’y avait pas d’ordinateur, il n’y avait pas la télé. Moi je pense qu’à l’âge d’Eva, je ne savais pas qui était le président de la République. Coralie, par le biais des journaux, de la télé, elle sait qui sont Chirac et Ségolène Royal, c’est clair. Elle connaît le monde. »
Nombreux sont les parents qui considèrent que leurs jeunes enfants sont plus émancipés, moins ignorants, voire moins niais qu’ils l’ont été eux-mêmes. Pour eux, ce sont des « préados », c’est-à-dire des adolescents avant l’heure. Ils insistent sur la précocité de leur autonomie. Quelles causes peut-on avancer pour étayer ce constat ? L’hypothèse sera que l’autonomie est l’une « des conséquences de l’accès croissant des enfants à des mondes culturels et sociaux qui étaient, naguère, largement réservés aux adultes », selon les mots du sociologue anglais David Buckingham (1).
Autonomie culturelle et indépendance économique
Pourquoi est-on amené à parler d’autonomie dans une discipline qui n’en a pas fait l’un de ses concepts centraux, seulement de façon émergente (2) ? Parce que l’ancienne notion d’indépendance ne suffit plus pour décrire la place des enfants dans les familles et la relation parent-enfant. Si pour les jeunes, l’indépendance désigne la capacité économique de ne plus dépendre de la famille ou de toute autre institution, l’autonomie signale leur capacité d’appropriation et d’expression dans le monde social. Or, selon François de Singly, on assiste à une « dissociation entre ces deux dimensions de l’individualisation. Les jeunes sont dans des conditions sociales et psychologiques qui leur permettent d’accéder à une certaine autonomie, sans pour autant disposer des ressources, notamment économiques, suffisantes pour être indépendants de leurs parents (3). » Cette autonomie des adolescents renvoie à une capacité culturelle caractérisée par la mise en contact précoce des enfants avec le monde social et le déploiement d’une sphère d’activités culturelles propres.