Elle sait d’où elle vient. Mais qui elle est et où elle va, c’est une autre histoire. Parmi toutes les disciplines des sciences humaines peut-être, la psychologie apparaît comme celle la plus propice aux paradoxes.
D’abord, s’agit-il bien d’une science humaine ? Rameau rebelle puis indépendant de la philosophie du 19e siècle, elle n’a cessé de souffrir de tiraillements entre son versant expérimental, revendiqué dès les années 1870-1880 dans les univers académiques américains et européens, et son versant plus littéraire, parfois philosophique encore, accordant davantage d’importance à la subjectivité, et dont la psychanalyse constitue l’exemple le plus connu. Cette ambivalence reste particulièrement vivace en France où la psychologie demeure souvent imprégnée d’influence freudienne et lacanienne dans les milieux universitaires en général, tout en se voyant enseignée sous le label des sciences du vivant, et non des sciences humaines, au Collège de France.
Une psychologie plurielle
De la psychologie sociale à la clinique, auprès des patients, du modèle psychanalytique au virage sans cesse plus prononcé vers les neurosciences, de la psychopathologie à la psychologie de la santé en passant par la psychologie positive, du développement, de la consommation, du sport et bien d’autres, toutes ces branches se voyant elle-même divisées en une multitude de spécialisations, il semble de plus en plus intenable d’évoquer la psychologie au singulier. On ferait sans doute mieux de parler des psychologies. Placez un neuropsychologue et un clinicien adepte de Melanie Klein dans la même pièce, il n’est pas certain, à supposer qu’ils soient de bonne volonté et sans préjugés, qu’ils aient l’impression de parler la même langue. Ils partageront pourtant le même titre de psychologue, obtenu suite à un enseignement universitaire où ils ont bénéficié d’un tronc commun. Il est d’ailleurs difficile de trouver deux psychologues qui s’entendront sur ce que devrait être la formation d’un bon psy, la meilleure pratique possible de son métier, voire la définition même de celui-ci. Un psychologue s’occupe-t-il d’analyser les pensées ou les comportements d’autrui ? Est-il là pour guérir, accompagner, conseiller ? Le paradoxe est encore plus prononcé auprès du grand public : la psychologie n’a jamais été aussi populaire, mais entre psychologues, psychanalystes, psychiatres, psychopraticiens, psychothérapeutes, sans oublier une foultitude de néologismes ronflants, comment s’y retrouver ? Et comment s’étonner que les études de psychologie soient prises d’assaut par des bataillons de bacheliers persuadés qu’elle se résume au Sigmund Freud effleuré en terminale pendant les cours de philosophie, et qui se retrouvent parachutés au beau milieu de statistiques, de neurosciences, de modèles cognitifs (encadré) ? Cette difficulté, souvent cette réticence, à parler d’une seule voix se retourne contre les psychologues. On les a vus se déchirer pendant dix ans à propos de la légalisation du statut de psychothérapeute, et se retrouver contraints de renégocier après coup un décret bancal qui les désavantage au profit des médecins. Quant à un Ordre qui viserait à accélérer la clarification des droits et devoirs des professionnels concernés, l’immense majorité des praticiens s’y refusent. Au risque que l’illisibilité soit le prix à payer pour la liberté.