Jusqu'à une période récente, les atteintes à la santé au travail n'étaient guère considérées en France comme un problème de santé publique, mais plutôt comme une question sociale relevant de la négociation entre les partenaires sociaux. Le changement de regard sur cette question apparaît pourtant non seulement indispensable pour des raisons sanitaires et éthiques, mais aussi comme une condition du développement durable des industries françaises. Car un constat s'impose : dans notre pays, l'état de la santé au travail est mauvais.
Si le nombre d'accidents mortels du travail a beaucoup diminué, l'ensemble des accidents du travail est plutôt en augmentation. Entre 2001 et 2002, les accidents avec invalidité permanente ont augmenté de 9 %. Le nombre de maladies professionnelles reconnues, quant à lui, s'envole (+ 30 % entre 2001 et 2002), principalement du fait de la croissance exponentielle des troubles musculo-squelettiques (TMS), ces pathologies qui affectent les muscles et les articulations du membre supérieur.
Ces chiffres ne parviennent pourtant pas à traduire l'ampleur des atteintes à la santé liées au travail. Les 21 000 cas reconnus de TMS en 2002 représentent, selon toute vraisemblance, moins d'un quart des personnes qui en souffrent. Les deux tiers des produits chimiques utilisés n'ont pas été soumis à des tests toxicologiques complets, ce qui implique que leurs effets éventuels ne font l'objet d'aucune reconnaissance. On pourrait allonger la liste indéfiniment : le système de reconnaissance des maladies professionnelles est loin de rendre compte de la réalité des atteintes à la santé liées au travail.
Les chiffres qui précèdent concernent des pathologies clairement identifiées par la médecine. Mais les atteintes à la santé ne se limitent pas à ce type de maladies. Les médecins du travail sont préoccupés par l'ampleur de toutes les formes de stress et de tension psychique présentées par les salariés. L'hypothèse du harcèlement moral par un responsable pervers traduit somme toute assez mal ce phénomène, qu'il convient plutôt de mettre en relation avec les évolutions de l'organisation du travail.
Les revers de l'organisation du travail
Au cours des vingt dernières années, on a pu noter une forte dégradation des conditions de travail des salariés 1. Ce qu'il est devenu habituel d'appeler « intensification du travail » correspond en fait à un cumul de contraintes, notamment l'ajout de contraintes strictes de qualité alors que les contraintes de rythme ont tendance à augmenter. On assiste ainsi à une multiplication de prescriptions plus ou moins contradictoires et plus ou moins compatibles avec la réalité du travail. Dans les industries les plus automatisées, l'intensification se constate autour des contraintes liées à l'intervention urgente sur les incidents et les pannes.
Si les charges physiques lourdes ont tendance à diminuer, les contraintes liées aux postures pénibles et à la répétitivité augmentent. La charge mentale apparaît, dans les enquêtes, à travers diverses manifestations : travail dans l'urgence, attention nécessaire, formalisme accru, tensions dans les rapports avec la hiérarchie ou les clients, responsabilisation de plus en plus forte sans que les ressources correspondantes soient mises en place. Dans les petites entreprises et le secteur des services notamment, les conditions du passage aux 35 heures se sont traduites par une dégradation des conditions de travail dans certains cas, particulièrement pour les salariés les moins protégés.