Que reste-t-il de Jean Piaget ?

Son modèle du développement de l’intelligence par stades a marqué le XXe siècle. Mais de nouvelles techniques d’analyse montrent que les faits sont beaucoup plus complexes…

Né à Neuchâtel en 1896, Jean Piaget soutint en 1918 un doctorat de sciences naturelles en malacologie, partie de la zoologie qui traite des mollusques. Mais préoccupé tout autant de l’évolution des formes de l’intelligence que de celle des formes biologiques, il se rendit tout d’abord, la même année, à Zurich pour une formation en psychologie expérimentale, puis à Paris, de 1919 à 1921, où il suivit un triple enseignement : psychologie, logique et histoire des sciences. Il y rencontra les philosophes, psychiatres et psychologues célèbres de l’époque.

De retour à Genève, Piaget devint le collaborateur d’Édouard Claparède (1873-1940) à l’Institut Jean-Jacques Rousseau. Marié en 1933, la naissance de ses trois enfants fut le point de départ d’observations minutieuses des deux premières années de la vie, qui constituèrent la matière de trois ouvrages célèbres : La Naissance de l’intelligence chez l’enfant (1936), La Construction du réel chez l’enfant (1937) et La Formation du symbole chez l’enfant (1945).

Parallèlement à ses travaux de recherche, la carrière universitaire de Piaget se poursuivit à Neuchâtel, Lausanne et surtout Genève où il enseigna la psychologie génétique (au sens d’ontogenèse) et l’histoire de la pensée scientifique. En 1942, il donna à Paris, au Collège de France, une série de conférences qui deviendront La Psychologie de l’intelligence (1947, nouvelle édition 2012) et, de 1952 à 1963, il occupa, à la Sorbonne, la Chaire de psychologie de l’enfant.

Lier psychologie et biologie

La grande époque des recherches piagétiennes a commencé un peu avant 1940, avec une équipe de collaborateurs remarquables : Bärbel Inhelder (1913-1997) qui occupa une place particulière en raison du nombre et de l’importance des ouvrages écrits avec Piaget, Alina Szeminska, Pierre Gréco, Jean-Blaise Grize, le logicien de Piaget, etc. Deux séries de travaux furent conduites :
– 1) L’examen méthodique des différentes notions ou normes logiques et des domaines où elles se développent (nombre, classe, espace, temps, vitesse, etc.) ;

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2) L’élaboration de modèles formels qui rendent compte précisément de la genèse de ces invariants.

Des ouvrages fondamentaux rapportant ces travaux nous n’en citerons ici que deux, qui suscitèrent un nombre impressionnant de recherches : La Genèse du nombre chez l’enfant (Piaget & Szeminska, 1941) et Genèse des structures logiques élémentaires (Inhelder & Piaget, 1959). Établir un lien direct entre la psychologie et la biologie était le rêve de Piaget, bien illustré par son « cercle des sciences ». Contre l’idée d’« échelle des sciences » qui remontait à Auguste Comte au XIXe siècle (le premier échelon correspondant aux mathématiques, le « socle de pur bronze », et le dernier à la psychologie), Piaget a proposé, au milieu du XXe siècle, de « tordre l’échelle » en la recourbant sur elle-même comme un serpent qui se mord la queue (voir la figure 1).

Pour dépasser ces conflits internes, l’adaptation de l’ensemble du cerveau, c’est-à-dire l’intelligence ou la flexibilité, dépend de la capacité de contrôle exécutif du cortex préfrontal (système 3) à inhiber le système 1 et à activer le système 2, au cas par cas, selon le contexte (voir la Figure 3). Inhiber, c’est apprendre à résister. C’est utile tant pour les enfants que pour les adultes car ces derniers restent encore de mauvais raisonneurs dans beaucoup de situations où leur système 1 domine, souvent inconsciemment. – Dehaene, S. (2010). Paris : Odile Jacob. – Gopnik, A. (2012). « Scientific thinking in young children. Theoretical advances, empirical research and policy implications ». , 337, 1623-1627. – Houdé, O. et al. (2011). « Functional MRI study of Piaget’s conservation-of-number task in preschool and school-age children ». 110, 332-346. – Kahneman, D. (2012). . Paris : Flammarion.