Quelle limite pour le chercheur ?

Hiroshima et Nagasaki ont révélé à l'humanité l'ampleur du pouvoir destructeur de la bombe atomique, issue des progrès scientifiques. Depuis, des voix ne cessent de plaider pour un contrôle social de la science. D'autres revendiquent la liberté de chercher. Le débat tourne parfois au dialogue de sourds.

En février 1997, la presse se faisait l'écho d'une première mondiale : une équipe écossaise venait de réussir le clonage d'une brebis, à partir de cellules somatiques (non sexuelles) d'un animal adulte. Du mouton à l'homme, n'y a-t-il qu'un pas ? Nos sociétés sont-elles prêtes à admettre le clonage d'êtres humains comme l'a proposé, en ce début d'année, le chercheur américain Richard Seed ? Deux logiques se confrontent nécessairement, celle de la recherche et celle de la société. En termes de logique scientifique au sens strict, rien ne s'oppose à continuer les travaux. En termes de choix de société, il en va tout autrement. La liberté de la recherche est donc au coeur du débat. Encore faut-il s'accorder sur la nature de la liberté dont on parle. Ce qui soulève bon nombre de questions...

En premier lieu, qui finance la recherche ? Ce n'est plus un secret pour personne, le budget de l'équipe écossaise vient pour partie de la société de biotechnologies PPL Therapeutics. Le cas n'est pas exceptionnel. Au département des sciences de la vie du CNRS, en moyenne un quart des crédits des laboratoires (hors salaires) vient de l'industrie, essentiellement agro-alimentaire et pharmaceutique. Lorsque, sur certains contrats, l'apport des financements extérieurs devient majoritaire « il est évident que les chercheurs sont alors obligés de se plier, dans leur démarche, à la demande du partenaire » précise Pierre Tambourin, qui fut directeur de ce département de 1993 à juillet 1997.

Comment les chercheurs sont-ils évalués ? Le statut de fonctionnaire attribué aux chercheurs français n'a pas favorisé la prise de risques, contrairement aux attentes. « Elle serait même inférieure, en France, à celle observée dans d'autres pays » note Pierre Tambourin. Le chercheur doit notamment satisfaire aux contraintes de l'évaluation, laquelle repose pour une bonne part sur les publications. Or, la « publiomanie », même dans des revues de haut niveau telles que Nature ou Science, peut comporter des effets pervers : « Il y a là un danger de se conformer aux "canons" de l'époque, ce qui, à mes yeux, constitue plutôt un frein à la création et à la liberté de recherche. » Disciplines particulièrement prisées aujourd'hui en sciences de la vie : la génétique, la biologie moléculaire, les neurosciences...