Qui a découvert l'Amérique (pour de vrai) ?

Longtemps, on crédita Christophe Colomb de la découverte de l’Amérique. Puis on reconnut que les Amérindiens étaient arrivés les premiers. Tout en évoquant aussi les Vikings, Inuits, Africains, Polynésiens, Chinois… Décryptage d’une question identitaire.

Christophe Colomb est une légende. Il est l’homme qui a découvert l’Amérique et inauguré les Temps modernes. Pourtant, en 1492, peu de gens auraient parié une piastre sur le succès de ce beau parleur. Prudents, les monarques d’Espagne eux-mêmes ne lui ont pas avancé beaucoup d’argent pour sa première expédition, moins du dixième des sommes qu’ils consacraient alors à épurer l’Espagne des présences musulmanes et juives.

Le récit canonique de l’Europe

Colomb, marin génois devenu explorateur mercenaire pour la couronne espagnole, avait présumé que la Terre était ronde – ce que savaient tous ses contemporains un tant soit peu lettrés – mais il s‘était abusé sur son diamètre. Il pensait que naviguer un mois vers l’ouest lui permettrait d’atteindre les rivages de Chine, de convertir le Grand Khan évoqué par Marco Polo au catholicisme, de récolter l’or qui abondait là-bas, d’accumuler assez de richesses pour lever une nouvelle croisade qui reprendrait Jérusalem… Colomb s’était persuadé d’être le nouvel Élie, le prophète qui allait hâter le jour du Jugement dernier.

Et Colomb a trébuché sur un Nouveau Monde. Nouveau pour les Européens. Il était peuplé depuis au moins 15 000 ans par des « indigènes ». Colomb a défendu jusqu’à son lit de mort qu’il était arrivé dans les Indes, il n’admit jamais être le « découvreur » d’un Nouveau Monde, et ces indigènes devinrent Indiens. Quand la méprise devint évidente, à savoir que les Amériques – ainsi nommées parce que le premier opportuniste à les avoir mentionnées sur une carte, Vespucci, se prénommait Amerigo – n’étaient pas l’Asie, on parla d’Indes occidentales et d’Amérindiens.

Amérindiens, le grand escamotage

Ces Américains d’origine, donc, payèrent le prix fort de la rencontre. Ils étaient arrivés là depuis l’Asie, et on le sait avec certitude car l’essentiel de leur ADN en fait des parents des populations mongoles et sibériennes. Leur voyage avait précédé la domestication du bétail. Ils étaient passés par le grand Nord, le grand froid, à l’époque où la mer était à 120 m au-dessous de son niveau actuel, son eau étant piégée dans une calotte glaciaire qui couvrait la moitié des terres de l’hémisphère Nord. Leur arrivée semble avoir coïncidé avec le réchauffement du climat, leur permettant un essor démographique important. En quelques milliers d’années, ils ont colonisé toutes les terres s’étendant entre Canada et Patagonie. Piégés entre le climat bouleversé et une chasse intensive, la quasi-totalité des grands animaux disparaissent des Amériques il y a dix millénaires.

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Conséquence : les Américains n’ont pas pu domestiquer de gros bétails, à l’exception du lama, car peu d’animaux de grande taille étaient disponibles. Contrairement aux gens de l’Ancien Monde (Asie-Amérique-Afrique), ils n’ont pas connu les germes liés à la coévolution avec les animaux. Le premier Espagnol à avoir éternué sur la plage du premier débarquement, sur l’île de San Salvador, alors qu’une poignée d’Indiens lui faisaient face, a dû vaporiser le pire cocktail bactériologique conçu par l’histoire : une analyse y aurait trouvé trace de variole, peste, grippe, oreillons, rougeole… Des tueuses de masse, qui trouvèrent dans les populations amérindiennes, dépourvues d’anticorps, un terrain fertile. Ceux qui survivaient à la première maladie, affaiblis, périssaient à la suivante. Un siècle plus tard, les Amérindiens étaient réduits au dixième de leurs effectifs, passant de 50 ou 60 millions de personnes en 1500 aux alentours de 5 millions vers 1600. L’Amazonie, qui abritait 5 à 10 millions de personnes, fut dépeuplée. Quand les Espagnols s’y aventurèrent, ils la déclarèrent forêt vierge. Vierge de présence humaine, comme le reste des Amériques. Bon pour la conquête, qui en fut facilitée. À défaut d’avoir vraiment découvert le Nouveau Monde, Colomb resta dans l’histoire comme le premier humain à avoir globalement altéré les écosystèmes planétaires. Un symbole pour notre temps.