Réel

Un horizon inaccessible

« Je ne suis pas sûr que le réel existe, mais, c'est quand même le seul endroit où on peut se payer un bon steak », constate justement Woody Allen. En cela, le cinéaste new-yorkais résume un des paradoxes de la pensée contemporaine : que ce soit en physique ou dans les sciences humaines, tout le monde s'accorde pour admettre l'existence de quelque chose que l'on nomme le réel ; mais on s'accorde aussi pour dire qu'il reste en grande partie méconnaissable.

Les particules atomiques existent, mais elles ne sont pas directement accessibles à l'observation. Quand bien même elles le seraient, elles ne nous offriraient que des artefacts de réel. En effet, le « principe d'incertitude » de Werner Heisenberg énonce que toute observation des particules nous oblige à agir sur elles et donc à les transformer. La cosmologie contemporaine nous indique aussi que l'univers pourrait comprendre plusieurs dimensions, qui échapperont toujours à nos sens...

En matière de sciences humaines, on admet que la « réalité sociale » est en partie une reconstruction de notre regard. Ne serait-ce que parmi l'infinité des phénomènes de notre environnement, l'esprit ne cesse d'en sélectionner certains et de les interpréter.

Le travail de terrain, l'observation participante, le recueil des données ont longtemps été tenus pour un gage d'authenticité en anthropologie. Jusqu'à ce qu'un fin analyste de la condition anthropologiste comme Clifford Geertz, nous montre combien l'anthropologue a beau s'immerger dans un milieu, le compte rendu de son périple est toujours celui d'un « auteur » qui reconstruit, à sa manière, une réalité polymorphe. Derrière la description la plus minutieuse, neutre et distanciée, il ne fait que produire des « effets de réalité », l'auteur dupe son lecteur et se dupe lui-même.

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Nous sommes donc condamnés à fréquenter le monde - à l'observer, le décrire, le toucher - mais sans l'atteindre complètement. Le réel, c'est donc l'horizon de la connaissance. Et comme tout horizon qui se respecte, il s'éloigne au fur et à mesure que l'on avance vers lui.