Rencontre avec Anne Muxel : «Les jeunes ont un nouveau rapport au politique»

Quel rapport les jeunes Français ont-ils au politique ? Comment votent-ils ? Pourquoi s’abstiennent-ils autant, alors qu’ils sont les premiers 
à manifester ? La sociologue Anne Muxel enquête depuis des années.

Peut-on dire que les jeunes sont aujourd’hui dépolitisés ?

Non. Affirmer qu’ils sont dépolitisés, c’est refuser de voir ce qui est en train de se recomposer dans leur rapport à la politique. C’est éluder la façon dont ils se réapproprient les outils de l’expression démocratique pour intervenir et être présents dans le débat public. Si l’on considère le niveau d’intérêt porté à la politique, il n’y a pas d’écart probant avec les autres classes d’âges. En 2007, 62 % des Français se disaient intéressés par la campagne et c’était le cas de 67 % des 18-30 ans. Par rapport aux générations précédentes, les jeunes ont aussi accès à beaucoup plus d’informations, en particulier grâce à Internet qui suscite l’attente d’une plus grande transparence.

L’âge explique en partie leur rapport à la politique : ils sont à un moment de la vie où l’on est plus entier, plus disponible pour la protestation ou la dérision. Mais le contexte dans lequel les jeunes entrent en politique est aussi déterminant. Ils font aujourd’hui face à une crise tous azimuts et partagent le sentiment qu’ils auront moins bien que leurs aînés. Ce contexte donne une coloration très différente à ce que peut être un engagement politique. Il y a indéniablement une défiance qu’il ne faut pas confondre avec du désintérêt.

 

On pointe souvent l’abstention des jeunes.

C’est une réalité, mais qui reste à analyser. À l’exception de la présidentielle de 2007, le taux de participation est moins élevé, environ dix points de moins que dans les autres classes d’âge. C’est l’intermittence du vote qui domine. Les jeunes alternent entre participation et retrait. Pour eux, le vote est moins perçu comme un devoir civique que comme un droit. Et à ce titre, ne pas voter est un droit aussi. La décision est davantage assujettie à un choix individualisé. Il y a donc une plus grande labilité des choix car les jeunes n’ont plus les fidélités partisanes du passé. Ils instrumentalisent d’une manière différente les moyens politiques mis à leur disposition. L’abstention n’est pas forcément synonyme d’indifférence : elle véhicule la défiance, la protestation et le mécontentement. Elle est un message politique.