Repenser nos modes d'existence Rencontre avec Bruno Latour

Auteur de nombreux travaux en sociologie des sciences, Bruno Latour a mis à profit sa méthode pour alerter sur le déni des sociétés face à la catastrophe climatique qui menace.

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C’est dans un bistrot parisien, face à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, par une chaude journée de juillet, que Bruno Latour nous attend.

Mais qui est Bruno Latour ? « Le philosophe français le plus célèbre et le plus incompris » d’après le New York Times 1. Classé parmi les dix chercheurs en sciences humaines les plus cités dans le monde, sa notoriété est plus importante dans les pays anglophones qu’en France, où le monde académique ne lui a pas toujours réservé bon accueil.

Latour est l’auteur d’une œuvre foisonnante : une ethnographie du Conseil d’État, une étude de cas sur un système innovant de transports publics, une histoire des controverses scientifiques, un essai d’ethnopsychiatrie, ou encore un guide atypique de la ville de Paris dans lequel l’auteur s’attache aux infrastructures, objets techniques et mobilier urbain… Depuis quelques années, dans ses livres comme dans ses expositions, ou lors de ses expériences théâtrales, dont il est très fervent, il porte un regard inquiet sur les défis écologiques actuels.

Il fait partie de cette génération initiatrice des science studies, qui, à la suite de l’historien et physicien Thomas Kuhn 2, conteste la neutralité de la science et des techniques.

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Dès les années 1960, avec ses amis de l’école des Mines et notamment Michel Callon, il fonde une nouvelle sociologie des sciences. Proche de la pensée de Michel Serres, de l’historien des sciences Dominique Pestre (EHESS) et profond admirateur de la philosophe des sciences Isabelle Stengers, il vise dans ses recherches à articuler science et société.

À Sciences Po, où il enseigne depuis 2006, il initie en 2010 un programme d’expérimentation en arts politiques (SPEAP). Attaché au projet qu’il poursuit depuis ses débuts, celui de « plonger les sciences dans leur réalité sociale », il fait le pari éducatif d’initier les étudiants à ce qu’il nomme les « humanités scientifiques ». Il a aussi créé un double cursus associant sciences dures et sciences humaines pour faire comprendre aux élèves les implications concrètes des résultats scientifiques. Retour sur le parcours intellectuel de ce penseur singulier.

Philosophe, sociologue, scientifique, anthropologue, comment vous définissez vous ?

À l’origine, je suis philosophe. Mais j’ai rapidement dérivé hors de la philosophie, en essayant de trouver des méthodes sociologiques et anthropologiques pour répondre aux problèmes philosophiques. Donc, je me définis comme un « philosophe empirique » ou un « anthropologue philosophique » !

Mais officiellement, à l’école des Mines comme à Sciences Po, j’ai toujours travaillé comme sociologue. Je considère que la sociologie est une discipline très importante. Au début, je me suis inscrit dans la sociologie des sciences, mais j’ai aussi travaillé sur l’art, la religion, les organisations, autant de domaines tout aussi importants pour comprendre le social. C’est le travail que nous avons fait à l’école des Mines, sous le nom de « théorie de l’acteur-réseau ».