Saint-Simon (1760-1825) Une philosophie industrielle

Penseur et entrepreneur multitâche, Claude Henri de Saint-Simon est le fondateur d’une doctrine du progrès par l’industrie, d’un réformisme politique technocratique et d’une religion laïque proche du socialisme. La modernité, plus un zeste d’utopie concrète.

Si l’on en croit ses admirateurs, Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon, est l’inventeur d’au moins quatre grandes idées modernes : le positivisme, le socialisme, les théories de la communication et la sociologie. C’est déjà beaucoup pour un seul homme. Mais si l’on ajoute à cela le récit de sa fébrile vie, alors l’on ne peut qu’être impressionné. Né en 1760 dans une famille d’aristocrates paysans picards, Claude Henri reçoit une éducation éclairée, par les soins de d’Alembert entre autres. C’est un adolescent volontaire et rebelle qui, à 17 ans, prend du service dans l’armée. En 1779, il suit Lafayette en Amérique et fait la guerre d’Indépendance. Saint-Simon s’intéresse à bien autre chose qu’à l’art militaire : l’esprit de commerce et d’entreprise qui règne dans la jeune Amérique le met sur la voie de la réflexion de sa vie. De retour, il étudie les mathématiques, la physique et la chimie. Il se passionne pour les questions hydrauliques, visite les canaux de Hollande, puis fait des plans en Espagne, pour finalement s’associer avec un noble prussien. L’armée ne l’intéresse plus. La Révolution le surprend alors qu’il est en train de devenir un entrepreneur : sans hésiter, Saint-Simon renonce à son titre, et prétend désormais s’appeler Claude-Henri Bonhomme. Le « Bonhomme » en question réussit dans la spéculation foncière et devient très riche. Après un petit séjour en prison, il change d’activité, se lance dans les messageries et le commerce. Il se sépare de son associé, auquel il cède toutes ses propriétés foncières. Il a décidé « d’agir directement sur le moral de l’humanité ». Il abandonne les affaires, suit les cours de la nouvelle École polytechnique et de la faculté de médecine, et fréquente les scientifiques du moment. En 1802, il prend pour la première fois la plume pour brosser un tableau des savoirs de l’époque, auquel il ajoute ses propres rêves. Son destin est scellé : désormais, Saint-Simon sera savant et philosophe, prolixe rédacteur d’une grandiose doctrine reposant sur l’ingénierie hydraulique, le recours aux techniques de communication et la recherche d’une transition politique indolore vers l’« âge industriel », une nouvelle ère de civilisation et de progrès que Saint-Simon appelle de ses vœux pour succéder à l’« âge féodal ». À ce projet intellectuel, Saint-Simon sacrifie absolument tout, même son mariage, qui ne durera pas un an. Il passe le restant de sa vie entre la fréquentation des banquiers qui, comme Jacques Laffitte et Louis Ternaux, le soutiennent par moments, et la misère noire (de 1805 à 1809, il vit de l’aide de son domestique…). Saint-Simon est pressé, il a besoin de collaborateurs : à Polytechnique, il fait école et s’entoure de disciples qui l’aident à rédiger brochures et cahiers (L’Industrie, Du système industriel). Augustin Thierry, puis Auguste Comte sont ses bras droits.