L’Amérindien qui marche insouciant dans un jardin d’éden tropical vierge est une construction mentale occidentale tenace. Elle n’a aucune réalité scientifique. Bien plus que cela, elle est l’héritière de l’opinion subjective très orientée de colonisateurs avides d’occuper de nouvelles terres sous le fallacieux prétexte qu’elles n’avaient pas été mises en valeur par les indigènes. On s’octroyait ainsi une propriété facile du sol par la fourberie et l’« escobarderie ». La relation des autochtones avec leur milieu est en fait beaucoup plus complexe et ancienne que le laisse supposer l’apparent capharnaüm chlorophyllien de cet environnement. Le cas de l’Amazonie est à ce titre exemplaire.
Un paysage domestiqué
Les quelque 390 milliards d’arbres qu’elle compte aujourd’hui ne doivent pas cacher l’extrême diversité d’espèces et de paysages qu’elle abrite. Sous le monotone brocoli géant que constitue la canopée, un bouillonnement de diversité s’exprime tant sur le sol que dans la terre. En effet, 15 % de la diversité mondiale de la faune et de la flore sont concentrées en Amazonie. Cette mégabiodiversité s’accompagne d’une ethnodiversité tout aussi impressionnante. Ainsi, malgré le tsunami épidémiologique de la conquête européenne il y a cinq cents ans, qui a tué environ 90 % des habitants de la sylve, on y compte encore 350 langues parlées. De ce foisonnement de vies diverses est née une intime interaction entre les humains et leur milieu.
Les Amérindiens ont profondément transformé l’Amazonie, que ce soit son couvert végétal, la nature des sédiments ou même le modelé du sol. La grande qualité de ces impacts majeurs sur le milieu est la résilience qu’ils induisent et, de fait, leur apparente discrétion. Il faut posséder la science de l’Amazonien ou la sagacité du chercheur pour discerner les marques de ces modifications subtiles mais décisives. En effet, la régénération végétale qui suit les altérations amérindiennes laisse des stigmates sobres mais visibles durant des siècles.