Thorstein Veblen entretient toute sa vie des relations conflictuelles avec l’institution universitaire. Né dans le Midwest rural en 1857, dans une famille d’immigrés norvégiens, il fait des études d’économie et de philosophie. Remarqué par ses professeurs, il peine pourtant à obtenir un poste à l’université. Son style sarcastique, son peu de goût pour l’enseignement et sa vie personnelle scandaleuse (ses multiples maîtresses) lui valent de nombreuses inimitiés. Entre les années 1890 et 1920, il passe d’université en université, de Chicago au Missouri puis à New York, sans jamais parvenir à garder un emploi plus de quelques années.
Tout au long de sa carrière universitaire, T. Veblen affiche un véritable scepticisme vis-à-vis de la théorie néoclassique. Il lui reproche d’être trop abstraite, trop statique, à cause de son approche fondée sur la notion d’équilibre, et de ne pas pouvoir expliquer la réalité économique de son époque. Il lui oppose une théorie des institutions, mieux à même, selon lui, de rendre compte de la diversité des motifs de l’action économique et surtout de son évolution.
La perspective que propose T. Veblen se situe aux confins de l’économie, de la sociologie et de l’histoire. Il la définit comme une « science évolutionniste », traduisant ainsi les intuitions de Darwin dans le champ de l’économie. Au lieu de chercher des lois et des équilibres, l’économiste, argue-t-il, doit considérer que les processus humains changent constamment, sans finalité préétablie. Les agents s’adaptent à leur environnement et le transforment en retour. Ce processus aboutit à « sélectionner » des institutions (« des habitudes de pensée », qui prennent la forme de manières de consommer, ou des entreprises où s’organise la production), qui ne sont pas nécessairement les plus efficaces ou les plus utiles, mais le résultat cumulatif de changements toujours en cours.