Thorstein Veblen (1857-1929) La consommation ostentatoire

Économiste paradoxal, Thorstein Veblen a érigé l’ostentation en principal moteur de la consommation. Ce point de vue critique l’a amené à soutenir un modèle technocratique de gouvernance de l’économie.

Thorstein Veblen a été un penseur décalé : né de parents suédois dans un milieu rural et austère du Wisconsin, il s’est trouvé propulsé par ses études de philosophie et d’économie au contact de l’élite urbaine de la côte Est, sans y entrer vraiment. Sa carrière universitaire a été marquée par de nombreuses déconvenues.

Dans son livre le plus remarqué, Théorie de la classe de loisir (1899), il dépeint une société américaine où les ressorts principaux de la consommation sont l’ostentation et l’émulation sociale. La « classe de loisir » dont il parle le plus est celle des rentiers, jamais si nombreux qu’au tournant des 19e et 20e siècles. C’est l’époque où les classes aisées jouissent de formes de luxe nouvelles et voyantes : les hôtels et casinos des stations balnéaires, les croisières, les stations d’hiver des Alpes, les hippodromes. En ville, on donne des réceptions qui sont l’occasion de montrer combien sa résidence est belle, la décoration recherchée, les tenues vestimentaires élégantes, la cuisine et les vins raffinés. Pour T. Veblen, qui raisonne en économiste, le coût exorbitant de ces biens et services dépasse largement leur utilité. Il en déduit qu’ils ont une autre fonction : l’ostentation. Le luxe, pour T. Veblen, n’est rien d’autre que le moyen de manifester son statut et d’en tirer du prestige auprès de ses pairs. Cela marque également la distance d’avec les étages inférieurs de la société. Ces derniers s’efforcent d’imiter les pratiques de l’élite. Il s’ensuit un mouvement perpétuel, puisque, à mesure qu’ils sont copiés, les riches tentent de se démarquer par de nouvelles pratiques. T. Veblen développe ainsi une analyse « positionnelle » de la consommation qui prend le contre-pied des économistes néo-classiques, selon lesquels l’équilibre des prix résulte du jeu de l’offre et la demande, lequel obéit à la règle d’utilité. Convaincu du contraire, T. Veblen se permet même de proposer une sorte de loi qui porte son nom (« effet Veblen »), et qui dit ceci : plus le prix d’un bien est élevé, plus sa demande augmente. C’est évidemment paradoxal, mais cela rend assez bien compte des singularités du marché des marques, qui fonctionne sur le principe de l’ostentation, tandis que la différence de qualité peut être minime.