Tribus d'Amazonie : la fin de l'isolement ?

La tribu amazonienne des Mascho-Piros vit coupée du monde. Mais avec la déforestation, elle commence à s’aventurer hors de son territoire. La question de sa survie est posée.

Mi-curieux mi-inquiets, ils plantent leurs regards dans l’objectif. Le cliché les montre presque nus, assis sur un tronc. On distingue avec précision un homme, plusieurs femmes, quelques enfants, un adolescent. Tous appartiennent à la tribu des Mashco-Piro. Ce groupe amérindien vit isolé au cœur de la forêt amazonienne, dans une large zone qui couvre les départements du Madre de Dios et de l’Ucayali au Pérou, et de l’État d’Acre au Brésil. Cette stratégie d’« isolement volontaire » – notion entérinée par divers traités internationaux – lui permet notamment de se préserver des épidémies. « Les ouvriers pétroliers et les bûcherons qui pénètrent sur leurs terres les exposent à des maladies qu’ils ne connaissent pas », souligne par exemple l’ONG Survival International, qui s’inquiète de la récente multiplication des contacts avec des populations locales. « Si l’on ne met pas un terme à ces invasions, ils ne survivront pas », souligne-t-elle  1.

Invasion de villages

Le débat, déjà ancien, s’est réveillé suite à l’intensification des situations de contact avec plusieurs membres de l’ethnie Mashco-Piro. C’est le Madre de Dios, non loin de la frontière brésilienne, qui cristallise l’attention. En 2014, plus de 70 contacts visuels y ont été enregistrés. L’invasion spectaculaire de la communauté indigène de Monte Salvado par près de 200 Mashco-Piro en quête de nourriture et d’objets a marqué les esprits. Le sentiment que quelque chose de grave pouvait se passer a culminé en mai dernier, avec la mort d’un jeune Matsiguenga, Leonardo Perez, assassiné dans son village par une dizaine d’individus membres des Mashco-Piro.

Jusqu’à présent, l’État péruvien interdisait formellement tout contact avec les Mashco-Piro. Dans l’urgence, la vice-ministre de la Culture, Patricia Balbuena, a annoncé courant juillet 2015 que cette politique de non-contact n’était plus tenable vis-à-vis de plusieurs groupes. À l’instar de ce qui s’est fait au Brésil dans les années 1960, elle propose un protocole de « contact contrôlé » avec une vingtaine de personnes. Il s’agit, selon elle, « de comprendre leurs inquiétudes », d’éviter les tensions avec les villages et surtout de prévenir les épidémies auxquelles ils sont exposés  2. Une décision qui tranche avec les pratiques habituelles au Pérou. Un dispositif de loi protège en effet l’isolement des Amérindiens au nom du droit à la vie et à l’autodétermination. Cette politique, largement soutenue par l’Onu, est associée à la création de réserves territoriales protégées.

Si le respect de l’isolement se justifie par le droit des populations amérindiennes à choisir leur propre mode de vie – en l’occurrence l’isolement volontaire –, elle ne tient toutefois que tant qu’il s’agit d’un choix délibéré de la part de ces populations. Le cœur du débat repose donc sur ce qui motive vraiment les Mashco-Piro du Madre de Dios. À ceux qui voient dans les événements récents une volonté de rompre l’isolement, voire un désir d’intégration, d’autres invoquent les migrations forcées liées à l’exploitation des ressources de la forêt.