« La littérature m’a sauvée »

Delphine Espagno-Abadie
Maîtresse de conférences en droit.
« Ovide m’a rendu végétarien ! »
Renan Larue
Professeur à l’université de Californie, à Santa-Barbara (États-Unis), spécialiste de l’histoire du végétarisme.
« Depuis tout petit, je dévorais les textes de mythologie gréco-latine. Je dévorais aussi la viande et surtout la charcuterie, dont je n’imaginais pas pouvoir me passer. Quelques semaines avant mes 18 ans, je commençai la lecture des Métamorphoses d’Ovide. J’étais en extase devant ce très long poème mythologique dont la dernière partie prend un tour philosophique. Ovide cède en effet alors la parole à Pythagore, le plus illustre penseur de l’Antiquité. Autour de lui sont réunis pour l’écouter le roi Numa et sa cour. Pythagore commence par expliquer que la viande et le poisson sont des nourritures abominables parce qu’ils sont le produit d’une violence que nulle nécessité ne peut justifier. C’était la première fois que j’étais confronté à ce genre d’idées. Les arguments pythagoriciens d’Ovide me stupéfièrent. Il avait objectivement raison ; sa démonstration était implacable. Je refermai le livre, me dirigeai vers la cuisine où ma mère préparait un jambonneau pour le dîner. Je lui dis, un peu ébranlé tout de même, que je n’en mangerai pas, et que je ne mangerai plus jamais d’animaux.
Les Métamorphoses m’avaient ouvert les yeux sur ce problème moral que représente la consommation de viande. J’aurais pu militer au sein d’une association, mais j’eus plutôt le désir de creuser la question. J’ai ainsi consacré au végétarisme une thèse de doctorat et une bonne partie de mes travaux ultérieurs. Le poème d’Ovide a joué un rôle capital dans mon cheminement intellectuel et dans ma carrière. Je n’exercerais pas le métier que j’exerce, je ne vivrais pas où je vis, si je n’avais lu, à 17 ans, ce vieux poème écrit il y a deux mille ans.