Un auteur a changé ma vie

Il arrive qu’un livre exerce un effet puissant et durable sur son lecteur : il enclenche une vocation professionnelle, donne le goût du voyage, fait bifurquer l’existence. En voici quelques témoignages. Si vous avez vécu une telle expérience, nous vous invitons à ajouter le vôtre.

« La littérature m’a sauvée »

Delphine Espagno-Abadie

Maîtresse de conférences en droit.


« La littérature m’a sauvée dans plusieurs circonstances : d’abord à la mort de mon père, j’avais 16 ans, la littérature a été un refuge. Lire un roman me permettait d’oublier ma tristesse, ma souffrance, au moins le temps de la lecture. Cette situation se répète dès que je perds un être aimé : je me plonge dans l’univers d’un auteur ou d’un roman comme si cela me permettait d’oublier mon chagrin. Je lis également beaucoup dans les périodes tristes ou monotones de ma vie, pour trouver un nouvel univers, commencer une autre vie. Souvent, j’entre totalement dans le monde de l’écrivain. Quand j’aime un livre, j’aime ses personnages. D’ailleurs, une fois le livre terminé, ce sont des personnages qui m’accompagnent. Certains sont tellement ancrés dans ma vie que je pense à eux comme à des êtres vivants. Quand j’ai une décision difficile à prendre, je m’interroge sur ce qu’ils feraient à ma place… Pour moi, le roman est un moyen d’oublier mais aussi de me protéger. Pour citer quelques livres qui font partie de ma vie quotidienne : Goliarda Sapienza, L’Art de la joie (1994). J’ai une profonde tendresse et admiration pour l’héroïne Modesta et une grande admiration pour l’auteur, dont j’aime l’univers, les livres, l’histoire personnelle. Albert Cohen, Le Livre de ma mère (1954) C’est un ouvrage qui fait partie de ma vie, dont j’ai lu un passage à l’enterrement de ma mère. C’est d’une tendresse infinie. Un très beau livre. Victor Hugo, L’homme qui rit (1869). Denis Diderot, Jacques le fataliste (1796). J’ai beaucoup d’affection pour quelques héros récurrents de romans noirs : Harry Bosch (Michael Connelly), Dave Robicheaux (James Lee Burke), Harry Hole (Jo NesbØ)… Dennis Lehane et tous ses livres, Philip Roth, j’adore son double fictif Nathan Zuckerman… Il y a de nombreux auteurs espagnols et latino-américains aussi : Javier Cercas, Jaume Cabré, Leonardo Padura (j’adore le personnage Mario Conde), Gabriel Garcia-Marquez. Pour moi, la vie ne se conçoit pas sans la lecture, plus particulièrement sans la lecture de romans.

« Ovide m’a rendu végétarien ! »

Renan Larue

Professeur à l’université de Californie, à Santa-Barbara (États-Unis), spécialiste de l’histoire du végétarisme.


« Depuis tout petit, je dévorais les textes de mythologie gréco-latine. Je dévorais aussi la viande et surtout la charcuterie, dont je n’imaginais pas pouvoir me passer. Quelques semaines avant mes 18 ans, je commençai la lecture des Métamorphoses d’Ovide. J’étais en extase devant ce très long poème mythologique dont la dernière partie prend un tour philosophique. Ovide cède en effet alors la parole à Pythagore, le plus illustre penseur de l’Antiquité. Autour de lui sont réunis pour l’écouter le roi Numa et sa cour. Pythagore commence par expliquer que la viande et le poisson sont des nourritures abominables parce qu’ils sont le produit d’une violence que nulle nécessité ne peut justifier. C’était la première fois que j’étais confronté à ce genre d’idées. Les arguments pythagoriciens d’Ovide me stupéfièrent. Il avait objectivement raison ; sa démonstration était implacable. Je refermai le livre, me dirigeai vers la cuisine où ma mère préparait un jambonneau pour le dîner. Je lui dis, un peu ébranlé tout de même, que je n’en mangerai pas, et que je ne mangerai plus jamais d’animaux.

Les Métamorphoses m’avaient ouvert les yeux sur ce problème moral que représente la consommation de viande. J’aurais pu militer au sein d’une association, mais j’eus plutôt le désir de creuser la question. J’ai ainsi consacré au végétarisme une thèse de doctorat et une bonne partie de mes travaux ultérieurs. Le poème d’Ovide a joué un rôle capital dans mon cheminement intellectuel et dans ma carrière. Je n’exercerais pas le métier que j’exerce, je ne vivrais pas où je vis, si je n’avais lu, à 17 ans, ce vieux poème écrit il y a deux mille ans.