Un juge face aux Khmers rouges

Un juge face aux Khmers rouges
. Marcel Lemonde et Jean Reynaud
, Seuil, 2013, 250 p., 20 €.

Comment juger les crimes contre l’humanité ? Le moyen est à trouver, chaque fois de manière différente. Tel est le message principal de ce témoignage apporté par Marcel Lemonde, juge d’instruction au sein du tribunal des Khmers rouges pendant près de cinq ans. Chargé de juger le cas des principaux responsables du « Kampuchéa démocratique », le régime qui a coûté la vie à près de deux millions de personnes de 1975 à 1979, ce tribunal est une machine judiciaire hors-norme. Fruit d’une âpre négociation, c’est un organe mixte, composé de juges cambodgiens majoritaires et de magistrats internationaux. Chaque décision étant discutée avec les juges locaux, onze mois ont été nécessaires à la seule élaboration du règlement du tribunal. Puis le premier dossier est ouvert : celui de Kaing Guek Eav, alias Duch, ex-directeur de S-21, un lycée reconverti en centre de détention, de torture et d’élimination des opposants politiques. Opposants qui ne tardèrent pas à devenir des « ennemis de l’intérieur », les cadres du régime étant bientôt eux-mêmes soumis aux purges. Duch a été condamné, en 2010, à trente ans de prison. Un second dossier, ouvert peu après, portait sur la responsabilité de quatre autres dirigeants khmers rouges. Par crainte que le procès de ces derniers, très âgés, n’ait jamais lieu, M. Lemonde et son homologue cambodgien rédigent une ordonnance de clôture très longue, 435 pages, peut-être « la seule trace laissée par ce tribunal sur ce qui s’est passé au Cambodge ». Ce procès, ouvert en novembre 2011, n’est toujours pas terminé à la fin de 2012. Sous la pression des magistrats cam­bodgiens, les dossiers d’autres respon­sables khmers n’ont pas donné lieu à des poursuites formel­les. Ce qui conduit M. Lemonde à qualifier ce tribunal de « boiteux », « tardif » mais néanmoins nécessaire. « Si l’on a peur de tacher sa robe de juge, conclut-il, mieux vaut éviter de s’aventurer sur les chemins boueux du Cambodge. »