Vieille histoire que celle de l'immigration de masse dans notre pays. Un phénomène qui fait de la France l'un des Etats de la planète qui, avec ceux des « nouveaux mondes », a eu recours avec le plus d'intensité aux populations étrangères. Il s'agissait non seulement de faire fonctionner l'économie, d'occuper les postes de travail désertés par les nationaux, mais aussi de compenser les effets ravageurs sur sa démographie des hécatombes des deux guerres mondiales, ou simplement la diminution précoce et durable du nombre des naissances (sauf durant le bref baby-boom de la seconde après-guerre).
A partir des années 1860-1870, émergent les effets contradictoires d'une révolution industrielle qui bouleverse la répartition des postes de travail, multiplie les besoins de main-d'oeuvre non qualifiée et renforce les pratiques malthusiennes des couples.
Contrairement à ce qui se passe dans tous les autres Etats du Vieux Continent, la natalité française diminue de manière sensible, entraînant un fort ralentissement du rythme d'accroissement de la population, avec pour corollaire un manque de bras qui affecte l'agriculture et surtout les emplois industriels n'exigeant qu'une faible qualification.
Ce phénomène sera ressenti de manière particulièrement aiguë lors des phases de croissance et d'industrialisation de la Belle Epoque (1900-1914) et des Trente Glorieuses (1945-1975), ainsi qu'au lendemain des conflits mondiaux, les impératifs de la reconstruction conjuguant leurs effets avec ceux d'une hémorragie humaine absolument sans précédent.
Au contraire, les périodes de récession voient les flux de l'immigration décroître et les effectifs de la population étrangère stagner ou diminuer de manière sensible. Il en a été ainsi durant les deux dernières décennies du xixe siècle, lors de la grande dépression des années 30 et depuis le premier choc pétrolier ; encore que ce dernier inaugure une ère de désindustrialisation qui n'est pas achevée et qui diminue structurellement les besoins du pays en main-d'oeuvre non qualifiée.
« Pics » et « creux » coïncident donc avec les principaux tournants de l'histoire économique de la France et donnent à la courbe de la présence étrangère dans notre pays une allure contrastée ; ce qui n'empêche pas d'ailleurs, à l'échelle du siècle, un accroissement régulier de l'effectif des migrants. Celui-ci est passé de 380 000 en 1851 - date du premier recensement dans lequel figurent les étrangers - à plus d'un million en 1911 (soit 3 % de la population totale), puis à 2,7 millions, en chiffres officiels (toujours inférieurs à la réalité) en 1931. A cette date, les étrangers représentent 6,5 % de la population recensée dans l'Hexagone : chiffre record et qui marque une première crête dans la courbe.
Après le creux très marqué de la guerre, dû aux nombreux retours qui ont suivi la mobilisation dans les pays belligérants et l'invasion d'une part du territoire français, la croissance reprend, à un rythme d'abord modéré puis de plus en plus rapide, pour atteindre 3,4 millions en 1975. Malgré l'aggravation du chômage et la suspension officielle depuis 1974 de l'immigration des travailleurs permanents non originaires de l'Union européenne, l'effectif a continué de croître : il est de 4 190 000 en 1990, soit un peu plus de 7 % de la population totale.
Aussi considérables soient ces déplacements massifs de migrants du travail, ils ne représentent qu'une partie de la noria qui nourrit, depuis plus d'un siècle, la population étrangère fixée dans l'Hexagone. En effet, la France constitue également un refuge pour des émigrés politiques venus de tous les horizons de la planète. Ainsi, aux courants puissants de l'immigration économique, se sont mêlés ceux de l'exil politique. Tantôt, ils étaient originaires des mêmes pays : démocrates, socialistes, anarchistes italiens, espagnols et russes avant 1914; adversaires du régime mussolinien au début de l'ère fasciste et réfugiés de la guerre civile espagnole à la fin des années 30; harkis algériens après 1962; jeunes Portugais refusant à la fois les tracasseries du régime salazariste et les sanglants affrontements de la décolonisation africaine. Tantôt ils venaient d'autres pays, victimes de dictatures et de diverses formes de nettoyage ethnique : rescapés du génocide arménien; juifs allemands, autrichiens et tchèques en proie à la terreur nazie; victimes et adversaires du totalitarisme stalinien, de la « normalisation » hongroise (1956) ou tchécoslovaque (1968), du régime instauré en 1973 par le général Pinochet au Chili; Cambodgiens et Vietnamiens après 1975, ou musulmans bosniaques chassés de leur terre par le délire purificateur des miliciens serbes, etc. Nombre de ces réfugiés politiques ont regagné leur pays lorsque la situation s'y est modifiée. Mais certains sont restés en France et ont ainsi grossi, de décennie en décennie, le stock résiduel des migrants du travail.