La question fut soulevée lors de l'élection présidentielle de 2002, suite au rapport de la Commission européenne selon lequel la France était passée du 3e au 10e rang au sein de l'Union européenne pour ce qui concerne le pouvoir d'achat. Eurostat, à l'origine des données, eut beau reconnaître une erreur de calcul, le débat s'est poursuivi bien au-delà. Entre-temps avait surgi un ouvrage au titre évocateur : La France qui tombe1. Malgré sa frêle apparence, il fit l'effet d'un pavé dans la mare. Son auteur : Nicolas Baverez, un avocat, spécialiste des années 30 mais aussi lecteur de Napoléon et de Charles de Gaulle. Quelques mois plus tôt, en décembre 2003, il avait déjà publié sur ce thème un article dans la revue Commentaires mais avec un titre en forme d'interrogation : « Le déclin français ? »
Nouveau déclin depuis les années 80
Dans son ouvrage, il met d'emblée en avant la difficulté chronique de la France à surmonter les crises. Depuis les années 80, elle serait de nouveau engagée dans une nouvelle période de déclin. Un déclin économique mais aussi social, politique, culturel... N. Baverez s'emploie à le montrer avec force citations et chiffres à l'appui : une croissance moyenne ramenée de 3 % à 1,8 % depuis les années 70, des gains de productivité de 4,2 à 1 %, un taux de chômage de plus de 9 %, des déficits abyssaux, une dette publique qui « explose » (1 000 milliards d'euros, soit 62 % du PIB contre 23 % en 1980), des expatriations en hausse, une perte d'attractivité du territoire français attestée par les délocalisations. D'autres symptômes sont invoqués : le vieillissement de la population française, une moindre capacité d'innovation, une politique de réduction de la durée du travail à contre-courant de l'évolution des pays concurrents, etc. Et l'auteur d'appeler de ses voeux une « thérapie de choc » en considérant toutefois que seule une volonté politique permettra au pays de s'en sortir. L'ouvrage a été abondamment commenté et discuté par les observateurs et chercheurs, notamment économistes, comme l'avait été en son temps celui de Viviane Forester, L'Horreur économique lors de sa parution en 1996.
Tout en reconnaissant que « tout n'est pas rose », l'économiste Daniel Cohen, par exemple, conteste la noirceur du tableau dressé par l'avocat 2. S'agissant de l'attractivité du territoire français, par exemple, il rappelle les conclusions du rapport « Compétitivité » du Conseil d'analyse économique (CAE) qui montre notamment que la France figure parmi les premiers pays au monde pour l'accueil d'investissements internationaux, qu'elle est parvenue, à la différence d'autres pays industrialisés, à conserver sa part de marché en matière industrielle 3.
Au-delà de ces objections, un constat plus général s'impose : la thèse du déclin est récurrente depuis au moins la Révolution de 1789... Ainsi que l'observe Jean-Paul Fitoussi, directeur de l'Observatoire français de conjoncture économique (OFCE), elle revient en moyenne tous les dix ans 4. Elle n'est de surcroît pas propre à la France (voir le thème du « déclin américain »).
Reste l'apparent malaise décrit par N. Baverez et que plusieurs de ses critiques admettent volontiers, mais en l'interprétant autrement. Pour J.-P. Fitoussi, il serait imputable à « l'absence de progrès économique et social » depuis les années 1980-1990 : la baisse des salaires dans le revenu national enregistrée en France a été parmi les plus fortes des pays développés, alors que dans le même temps les niveaux moyens d'éducation et de qualification de la population active ont augmenté. Une situation que J.-P. Fitoussi explique par la persistance d'un chômage élevé et la politique de désinflation compétitive privilégiée par la France depuis 1983.