Il est de plus en plus fréquent de voir, sur le bord des routes, des bouquets de fleurs parfois associés à une photo, un petit mot écrit à la main, pour rappeler qu’à cet endroit, un fils ou une fille, un mari ou une épouse, un être cher de toute façon, est mort dans un accident. En enquêtant sur ce phénomène, l’anthropologue Lætitia Nicolas y a débusqué un nouveau rituel des temps modernes, ou, pourrait-on dire, un nouveau « code de la route » des civilisations de l’automobile et autres deux-roues…
Si, comme elle le précise, toute occasion funéraire requiert systématiquement le végétal, l’originalité de ces pratiques n’en est pas moins patente. Ce ne sont pas des fleurs de cimetière, ni les formes de bouquets réservés aux usages funéraires traditionnels que l’on y retrouve : ici, quelques petits edelweiss posés par une mère dont le fils aimait la montagne, là, des bouquets très colorés pour signifier la jeunesse et la gaieté du disparu, là encore, des fleurs de la couleur préférée du ou de la défunte… Toute une symbolique du chiffre existe aussi : seize fleurs pour la jeune fille accidentée de seize ans, ou un nombre croissant correspondant aux mois passés depuis le décès…
Pour L. Nicolas, ces « bornes de mémoire » constituent des marques de chagrin disposées à la vue de tous, mais empreintes de significations individuelles et non universellement codifiées pour l’observateur extérieur. Si elles ont en commun le culte du souvenir et le refus de la mort, bien propres à nos sociétés contemporaines, elles veulent surtout perpétuer, à travers leurs goûts, l’identité du défunt ainsi que celle des poseurs, parents ou amis.
« Ces vanités contemporaines d’un nouvel ordre ne s’adressent donc plus à l’homme pour lui remémorer sa finitude, mais bien à l’homme en tant qu’être social. Elles ne signifient plus “souviens-toi que tu es mortel”, mais « je – père, mère, ami – veux que tu te souviennes que tel individu – mon enfant, mon conjoint – est mort ici” », en conclut-elle.
Marc Olano