Une société addictive

Vêtements, tablettes et smartphones dernier cri... Nous sommes sans cesse assommés de nouveaux besoins. Comment sommes-nous devenus des hyperconsommateurs ?

Parfois, j’ai du mal à me comprendre. L’autre jour, après une longue matinée d’écriture, j’avais le cerveau prêt à exploser et besoin de respirer. Et si j’allais faire un tour en ville ? Le soleil était au rendez-vous et l’air frais. Une fois dehors, ma petite voix intérieure m’a aussitôt alerté : « Mais où vas-tu ? Qu’est ce que tu fais ? ». Je connaissais trop bien la réponse : acheter un livre. Lequel ? Je n’en savais encore rien. Je ne cherchais pas un titre particulier : je voulais juste un nouveau livre…

Pourtant je croule déjà sous les livres : certains, ramenés récemment, sont à peine entamés ou juste feuilletés. Chez moi, ils ont tout envahi : les bibliothèques, la table du salon, les fauteuils, la cave, etc. Alors pourquoi se mettre en quête de nouveaux titres ? Pendant que je me débattais avec ma conscience, mes jambes, elles, continuaient à me mener vers la librairie.

Une demi-heure plus tard, je ressortais avec trois romans et deux essais. J’avais le portefeuille plus léger et la conscience plus lourde. Pourquoi me suis-je laissé aller ? Et pourquoi ces nouveaux livres qui vont, je le sais bien, être bientôt recouverts par d’autres, plus récents ?

La raison est simple : je souffre d’une addiction. Mon addiction aux achats est centrée sur un produit particulier : les livres et magazines. Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse vraiment d’une addiction aux achats : car plus jeune, je n’achetais pas de livres, je les volais. Est ce alors une boulimie de lecture ? En partie seulement car sinon, je me satisferais de lire les ouvrages que je possède déjà, ce qui n’est pas le cas. Non, il me faut ma dose quotidienne de livres nouveaux. Et c’est cette quête insatiable de nouveauté qui ressemble à l’addiction.

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L’addiction ordinaire

Si je n’étais pas accro aux livres mais aux tickets de loterie ou encore aux chaussures, nul doute que je serais classé parmi les acheteurs compulsifs, définis par les traits suivants : des pensées envahissantes concernant des achats « inadaptés » et excessifs, engendrant une perturbation des liens sociaux.

Si mon cas ne relève pas de la psychiatrie, c’est d’abord parce que mon addiction porte sur une denrée « noble » – les livres – c’est la preuve, au passage, qu’on juge une addiction aussi en fonction de critères moraux. L’autre raison qui me met à l’écart de la psychopathologie est que je ne me ruine pas en achats, je ne m’isole pas socialement au point de mettre en péril mon activité professionnelle ou mon couple. Je fais plutôt partie de la catégorie courante et peu spectaculaire des « hyperconsommateurs », ceux qui mangent trop, ceux qui achètent trop. Un peu comme tout le monde donc. Mais pourquoi en arrive-t-on là ?