Dans les pays en développement, la population urbaine représente encore moins de 40 %, elle devrait dépasser le seuil des 50 % d'ici 2015. Dans les pays développés, elle a atteint les 75 % depuis plusieurs années (contre à peine plus de la moitié dans les années 50). La France n'a pas été épargnée par cette tendance de fond. Dans les années 50, autant dire hier, la population française était encore majoritairement rurale. La France est aujourd'hui aussi urbanisée que ses voisins européens.
Paradoxalement, c'est au moment où la ville paraît, si l'on peut dire, réunir tous les suffrages, qu'elle devient insaisissable, difficile à définir. Il y a certes les définitions « courantes ». Selon le Larousse, elle est une « agglomération importante et dont les habitants ont des activités professionnelles diversifiées, notamment dans le domaine tertiaire ». Mais qu'entendre par « importante » ? L'Insee fixe bien à 2 000 le nombre minimum d'habitants pour qu'une commune acquière le statut de ville. Ce seuil est cependant variable d'un pays à l'autre : 10 000 en Espagne, 50 000 au Japon...
La définition de la ville a toujours représenté une tâche difficile, aussi bien pour le géographe que pour le sociologue, l'historien, l'urbaniste. Dans un contexte d'urbanisation quasi généralisée, la tâche devient encore plus difficile. Quoi de commun entre Paris (2 millions d'habitants) et Châteauroux (moins de 60 000 habitants) ? Entre Genève et ses quelques kilomètres carrés de superficie, et la ville de Mexico étalée sur plus de 12 000 km2... ?
En réponse à cette diversité, une profusion de termes nouveaux a commencé, dans les années 60-70, à concurrencer la notion même de ville : mégapole, mégalopole, technopole, métapole... Outre-Atlantique, l'inflation de néologismes a été encore plus spectaculaire, d'aucuns annonçant l'émergence d'« urban villages », de « suburban dowtowns », de « galactic » ou de « pepperoni-pizza cities », de « superburbia », de « metroplex », d'« heteropolis »... L'une des dernières créations en date est appelée manifestement à un grand avenir : il s'agit d'edge city, forgée au début des années 90 par Joel Garreau, journaliste au Washington Post, pour désigner les nouvelles agglomérations qui ont surgi à la marge du tissu urbain historique, à l'image du comté d'Orange de Los Angeles.
Dans un article abondamment cité, la géographe et urbaniste Françoise Choay constate le décalage croissant entre les rythmes de la ville européenne classique et ceux des grandes agglomérations contemporaines ; elle va jusqu'à annoncer la « fin de la ville » en suggérant de parler désormais d'urbain 1. Résumant le désarroi de ses collègues, un autre géographe pose la question : « Nos villes sont-elles encore des villes 2?»
La fin de l'opposition ville/campagne
Plusieurs évolutions expliquent cette difficulté croissante à donner sens à la notion de ville. La première tient naturellement au brouillage de la frontière entre ville et campagne, sous l'effet de l'accélération et la complexification de l'urbanisation. Jusqu'à présent, celle-ci était un processus assez simple. Elle consistait en un étalement d'un centre historique vers sa périphérie qui était progressivement absorbé à partir des faubourgs. Ce schéma n'est plus d'actualité ou aussi courant qu'autrefois. Dans les pays développés, l'urbanisation a gagné les parties rurales de plus en plus éloignées. C'est ce que l'on appelle la périurbanisation, un phénomène désormais bien connu, apparu au milieu des années 60. L'essor des moyens de transports individuels et collectifs, ajouté à l'extension du réseau autoroutier, l'a naturellement amplifié. Tout se passe comme si des fragments de villes se projetaient dans l'espace rural. Le résultat est la formation de régions urbanisées mais discontinues, hétérogènes et multipolarisées, ce que l'économiste et sociologue urbain François Ascher suggère d'appeler des « métapoles » 3.